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Mme de Staël avait horreur de l’âge et de l’idée d’y arriver. Un jour qu’elle ne dissimulait pas ce sentiment devant Mme Suard, celle-ci lui disait : « Allons donc, vous prendrez votre parti, vous serez une très aimable vieille. » Mais elle frémissait à cette pensée ; le mot de jeunesse avait un charme musical à son oreille ; elle se plaisait à en clore ses phrases, et ces simples mots : Nous étions jeunes alors, remplissaient ses yeux de larmes : « Ne voit-on pas souvent, s’écriait-elle (Essai sur le Suicide), le spectacle du supplice de Mézence, renouvelé par l’union d’une ame encore vivante et d’un corps détruit, ennemis inséparables ? Que signifie ce triste avant coureur dont la nature fait précéder la mort ? si ce n’est l’ordre d’exister sans bonheur et d’abdiquer chaque jour, fleur après fleur, la couronne de la vie. » Elle se rejetait le plus long-temps possible en arrière, loin de ces derniers jours qui répètent d’une voix si rauque les airs brillans des premiers. Le sentiment, dont elle fut l’objet à cette époque de la part de M. Rocca, lui rendit encore un peu de l’illusion de la jeunesse ; elle se laissait aller à voir dans le miroir magique de deux jeunes yeux éblouis le démenti de trop de ravages. Mais son mariage avec M. Rocca, ruiné de blessures, le culte de reconnaissance qu’elle lui voua, sa propre santé altérée, tout l’amena à de plus réguliers devoirs. L’air écossais, l’air brillant du début devint bientôt un hymne grave, sanctifiant, austère. Il fallait que la religion pénétrât désormais, non plus dans les discours seulement, mais dans la pratique suivie. Plus jeune, moins accablée, il lui avait suffi d’aller, à certaines heures de tristesse, faire visite de l’autre côté du parc au tombeau de son père, ou d’agiter avec Benjamin Constant, avec M. de Montmorency, quelque conversation mystiquement élevée. En avançant dans la vie, une fois le ressort brisé contre les souffrances positives et croissantes, quand tout manque, et se fane jour par jour, et se décolore, les inspirations passagères ne soutiennent plus ; on a besoin d’une croyance plus ferme, plus continuellement présente : Mme de Staël ne la chercha qu’où elle la pouvait trouver, dans l’Évangile, au sein de la religion chrétienne. Avant la résignation complète, le plus fort de sa crise fut durant la longue année qui précéda sa fuite. L’active constance de quelques amis frappés pour elle, l’abandon, les chétives excuses, les peurs déguisées en mal de poitrine, de quelques