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formes et des variations contractées dans l’intervalle, de même que les révolutions, après leur élan, reviennent à un moindre but que celui qu’elles croyaient d’abord atteindre ou qu’elles avaient dépassé ; de même nous voyons Mme de Staël, vers la fin de sa vie, se réfugier dans un système plus mixte, plus tempéré, mais pour elle presque domestique : c’était, pour la fille de M. Necker, s’en revenir simplement à Saint-Ouën que d’accepter en plein la Charte de Louis xviii.

Les Considérations sur la Révolution Française, dernier ouvrage de Mme de Staël, celui qui a scellé le jugement sur elle et qui classe naturellement son nom en politique entre les noms honorés de son père et de son gendre, la donnent à connaître sous ce point de vue libéral mitigé, anglais, et un peu doctrinaire, comme on dit, beaucoup mieux que nous ne pourrions faire. Aussitôt après son retour en France, elle ne tarda pas à voir se dessiner les exigences des partis, et toutes les difficultés qui compliquent les restaurations. Les ménagemens, les mesures de conciliation et de prudence, furent dès l’abord la voie indiquée, conseillée par elle. Dans son rapprochement de Mme de Duras et de M. de Châteaubriand, elle cherchait à s’entendre avec la portion éclairée, généreuse, d’un royalisme plus vif que le sien. « Mon système, disait-elle en 1816, est toujours en opposition absolue avec celui qu’on suit, et mon affection la plus sincère pour ceux qui le suivent. » Elle eut dès-lors à souffrir incessamment dans beaucoup de ses relations et affections privées par les divergences qui éclatèrent. Le faisceau des amitiés humaines se relâchait, se déliait autour d’elle. Jours pénibles, et qui arrivent tôt ou tard dans chaque existence, où l’on voit les êtres préférés, qu’on rassemblait avec une sorte d’art au sein d’un même amour, se ralentir, se déplaire, se rembrunir l’un après l’autre, se tacher, en quelque sorte, dans la fleur d’affection où ils brillaient d’abord ! Ces déchets inévitables, qui ne s’arrêtent pas aux amitiés les plus chères, affectaient singulièrement Mme de Staël et la détachaient, sinon de la vie, du moins des vanités et des douceurs périssables. Elle avait fini par prendre moins de plaisir à écrire à M. de Montmorency, à l’admirable ami lui-même, à cause de ces malheureuses divergences auxquelles, lui, il tenait trop. M. de Schlegel en voulait beaucoup à cette politique envahissante, et se montrait moins