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SESSION PARLEMENTAIRE.

rattachait au pouvoir, qu’il n’y avait de force que dans un principe de gouvernement ; qu’il fallait se réserver pour des questions de faits, pour des améliorations positives. Quelques éloges donnés à son talent, quelques regrets sur sa dernière chûte oratoire dominèrent tout-à-fait un esprit facile à se laisser décourager ; sans se l’avouer à lui-même, M. Janvier fut porté à soutenir le ministère ; l’opposition lui déplut, parce qu’il ne lui vit pas de système ; le ministérialisme lui sourit, parce qu’il y trouva un doux oreiller pour reposer ses idées incertaines ; et on en a besoin toutes les fois que quelque triste désappointement vient arrêter une carrière qu’on avait rêvée trop large.

Dans quelle nuance classerons-nous le talent de M. de Lamartine ? Toutes les opinions de la chambre l’écoutent avec plaisir : les ministériels, parce que son opposition est innocente ; il prête secours avec tant de bonhomie aux projets du gouvernement ! il sympathise si puissamment avec le juste milieu ! il y aurait, en vérité, mauvaise grace aux ministériels de ne pas donner attention au langage fleuri avec lequel M. de Lamartine a soutenu la créance américaine. Quant à l’opposition, comment n’applaudirait-elle pas aussi M. de Lamartine ! L’orateur saisit avec un généreux bondissement toutes les idées sociales, ces vagues théories, ces philanthropiques déclamations qui appellent une ère nouvelle, si difficile à réaliser. M. de Lamartine appartient moins à l’école anglaise et positive qu’aux idées de la Constituante ; il ne prend pas la société telle qu’elle est avec ses infirmités ; il rêve un monde meilleur, une patrie céleste qu’il aperçoit comme un de ces beaux nuages bleus dont il parle avec tant de poésie et d’abondance dans ses méditations sur l’Orient

En résumé, le banc ministériel ne compte que deux orateurs véritablement positifs, M. Guizot et M. Thiers ; l’un, théoricien avec la ferme volonté d’appliquer son système aux affaires, ayant réussi parfaitement dans cette application ; l’autre, offrant tous les contrastes ; esprit tout matériel, professant une sorte d’épicuréisme de doctrines, vivant au jour le jour, sautant d’un principe à un autre, d’une position vieillie à une position nouvelle, sans tenue aucune, caquetant de tout et sur tout. Dans le semestre qui vient de s’écouler, M. Thiers a dû s’apercevoir qu’il n’avait plus le même crédit sur les chambres ; son talent s’est usé autant que celui de M. Guizot s’est agrandi ; M. Thiers a trop parlé. Ces causeries perpétuelles, quelque spirituelles qu’elles puissent être, affaiblissent la foi politique et la gravité des paroles. M. Guizot s’est peu engagé ; il a laissé son collègue marcher en étourdi. Qui sait ? Peut-être n’a-t-il pas vu, sans une secrète joie, les chances diverses de ce talent inégal, qui s’est plus d’une fois compromis dans le pugilat de la tribune. C’est un grand