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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/505

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PORTRAITS DE ROME.

aspects son éternelle beauté. Rome a donc droit à un culte semblable ; elle peut attendre qu’on recueille les peintures tracées par la main des siècles, et qu’on les appende au portique du temple que d’autres achèveront.

Le premier voyageur que je rencontre est un Gaulois, un homme de Poitiers probablement, qui se nommait Rutilius Numatianus. Après avoir rempli à Rome des charges importantes, il revint, vers 425, dans sa patrie. Nous possédons un fragment fort curieux, à plusieurs égards, d’un poème qu’il avait composé sur son retour en Gaule. Ce fragment commence par son adieu à Rome. Depuis Rutilius, bien des voyageurs ont éprouvé un douloureux attendrissement au moment de cet adieu. Quand on s’est accoutumé à vivre à Rome, on ne peut s’en éloigner sans un serrement de cœur ; c’est comme si on quittait une patrie. Étranger, on éprouve quelque chose qui ressemble à la tristesse de l’exil, et il arrive de pleurer en regardant Rome pour la dernière fois. Eh bien ! ce sentiment est déjà dans le Gaulois du ve siècle, et il a inspiré à la muse latine de cette époque déchue quelques vers d’une mélancolie pénétrante. Rutilius regrette Rome comme le pourrait faire un voyageur moderne. Son ami, Venerius Rufus, s’étonnait qu’il y fût resté si long-temps. « Étonne-toi plutôt, lui dit-il, de la promptitude de mon retour… L’éternité tout entière serait courte à qui admire Rome ; rien n’est long qui plaît sans fin… » Il envie ceux qui sont nés sur le sol sacré, ceux qui y ont obtenu des demeures… « Mais, ajoute-t-il en vers d’une mélodie plaintive comme un regret, mais moi, ma destinée m’enlève à ces bords chéris… Je cède et je m’arrache aux embrassemens de la ville bien-aimée… Je baise mille fois ces portes qu’il faut quitter… Mes pieds franchissent à regret le seuil sacré. » Puis, le soir de son départ, au moment de s’embarquer sur le Tibre, à quelque distance de Rome, arrêté par le vent contraire, il s’applaudit d’être retenu… « Je me plais, dit-il, à tourner souvent la tête vers la ville encore peu éloignée, et à suivre les contours des montagnes dans la lueur qui s’évanouit. » Le Gaulois avait remarqué la beauté particulière des horizons romains, de la lumière romaine. « Une région du ciel, plus éclatante et plus sereine, s’écrie-t-il, fait resplendir les sept collines. Là sont de constans soleils, et Rome semble se créer un