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PORTRAITS DE ROME.

neurs, au point qu’elles manquent de toits, de portes, de murailles, et sont ouvertes aux troupeaux, qui souvent viennent paître sur l’autel. »

Pendant tout le XVe siècle, ce ne sont plus les églises dont on déplore l’abandon : le pape et les cardinaux sont revenus veiller à leur entretien ; mais la passion toujours croissante de l’érudition et de l’antiquité, pendant ce siècle qui prépare si puissamment le XVIe, cette passion fait pousser des gémissemens et des imprécations à tous ceux qui sont témoins du triste état des antiquités romaines : L’aimable et savant Picolomini, avant d’être pape, s’écriait mélancolique et indigné : « Rome, il me plaît de contempler tes ruines, dont la chute révèle ton antique gloire ; mais ton peuple brûle tes marbres arrachés à tes vieux murs pour en faire de la chaux ; si cette race impie agit ainsi encore trois fois cent ans, il ne restera pas de trace de ta grandeur ! » Il y a quatre cents ans qu’Æneas Sylvius écrivait ces vers, et si on n’avait pas arrêté la destruction des ruines de Rome, il n’en resterait en effet nulle trace aujourd’hui.

Un homme qui avait tout des érudits du XVe siècle, leur esprit licencieux et hardi, leurs haines féroces, leur passion pour l’antiquité, le Pogge a dû au spectacle des débris de Rome des paroles plus touchantes et plus émues qu’on ne serait en droit de les attendre du grossier auteur des Facéties et de l’âpre ennemi de Philelphe ; c’est que tout homme peut toucher quand il exprime ce qu’il sent. Or, le Pogge sentait Rome ; dans un repli de ce cœur barbare d’érudit il y avait une veine de délicate tendresse, non peut-être pour une créature vivante, mais pour une ville morte. C’était sa Laure à lui, l’antiquaire, que cette ville gisant à ses pieds, et il trouvait sur son tombeau des paroles d’une mélancolie élevée, à propos de cette grande destinée, fragile comme toutes les destinées.

Ce qui me plaît aujourd’hui dans la Rome actuelle, c’est ce qui ressemble à la Rome de Pétrarque et de Pogge ; ce sont les quartiers déserts, les monumens abandonnés, les vignes couvrant les fûts des colonnes renversées, les buffles dans le Forum, et surtout les fragmens antiques enfouis dans l’architecture moderne : l’architrave d’un temple servant de linteau à une porte d’église ; un