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peine, les cérémonies de la Rome chrétienne, qui seules savaient parler à cette ame affligée une langue qui la consolât. Les divertissemens et les joies profanes ne pouvaient l’intéresser. Aux approches des fêtes de Noël, il écrivait : « Plût à Dieu qu’il me fût au moins donné de recevoir quelque consolation des fêtes sacrées, puisque dans les fêtes mondaines je n’ai pu trouver aucun plaisir. » Par ces dernières, il entendait parler de ces joies turbulentes d’octobre, espèce de carnaval d’automne, où revivent les bacchanales antiques. Ces fêtes à demi païennes avaient été sans charme pour le poète chrétien et malheureux. Mais il espérait quelques émotions fortifiantes de la vue du saint enfant dans la crèche. On sait qu’aux fêtes de Noël l’usage, à Rome, est d’exposer le bambino avec une grande pompe. C’est une vive joie pour tout le peuple. On voit les pâtres des montagnes qui viennent de loin s’agenouiller devant le saint berceau, comme ces autres bergers qui s’agenouillèrent devant la crèche de Bethléem ; sans doute le chantre de Sion, confondu parmi cette foule rustique, se prosterna dévotement comme elle devant le bambino de l’église d’Ara Coeli ; et peut-être cette commémoration naïve de la naissance de celui qui vint pour affranchir les esclaves, consoler les affligés et les pauvres, apporta-t-elle au grand homme pauvre, affligé, esclave, un peu des consolations qu’il en espérait.

On trouve une expression touchante de la dévotion aux souvenirs de la Rome chrétienne qu’inspiraient si naturellement au Tasse les infortunes de sa vie, et la religion de sa pensée, dans un sonnet qu’il est difficile de lire sans émotion, surtout quand on songe à sa date. Il l’écrivit à son arrivée à Rome, dans cette année 1589 où ses lettres nous l’ont montré si malheureux. Après avoir demandé à Rome de recueillir et d’abriter son infortune, le poète lui dit : « Ce ne sont pas les colonnes, les arcs de triomphe, les thermes, que je recherche en toi, mais le sang répandu pour le Christ, et les os dispersés dans cette terre maintenant consacrée. Bien qu’une autre terre l’enveloppe et la recouvre de partout, oh ! puissé-je lui donner autant de baisers et de larmes que je puis faire de pas en traînant mes membres infirmes. » Oui, ce que tu cherchais à Rome, ô Tasse, ce n’était pas la poussière de l’empire romain, c’était la terre pétrie des débris et du sang des martyrs ; et quand tu te sen-