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que l’on apporte à Vienne les œufs et les écrevisses, le pain, la viande, le poisson et les volailles de toute espèce, et, toutefois, à la chute du jour, il ne reste plus vestige de ces provisions… On n’exige aucun droit de ceux qui vendent du vin dans leurs maisons ; aussi presque tous les citoyens tiennent-ils cabaret. Ils chauffent leurs étuves, y font la cuisine, et y reçoivent les ivrognes et les filles de joie… Le nombre de courtisanes est très considérable. Outre cela, il y a peu de femmes qui se contentent de leurs maris. » Un siècle après, Guy-Patin disait de Vienne : « Vienne est une ville de plaisir, s’il y en a au monde et comme je prétends qu’à moins d’être Français, il faudrait souhaiter d’être né Allemand, de même je dis qu’à moins de passer la vie à Paris, il la faudrait passer à Vienne. »

Il est singulier de voir la capitale d’un aussi grand empire destituée d’un caractère moral dont la précision puisse la désigner entre toutes les villes. Londres, Berlin, Paris, ont leur génie et le montrent aux yeux. Vienne est un corps immense dont on cherche l’ame ; je l’appellerais, pour ainsi parler, une ville athée. Elle est sans unité ; elle réunit dans son sein le Hongrois, le Bohême, le Grec, l’Italien, l’Allemand ; elle enveloppe tout dans sa variété anarchique et ses trente-deux faubourgs, sauf un esprit qui lui appartienne. À peine si à l’entour et dans l’enceinte de la magnifique cathédrale de Saint-Stéphane, le génie primitif de la cité paraît quelquefois. Tout s’est évaporé au vent du Danube, de cet Ister, fleuve bien moins allemand que le Rhin ; tout a revêtu aux rayons du soleil, je ne sais quel prisme italien, grec, ou slave ; ce qui s’y produit le moins, c’est le génie germanique.

Étrange cité ! le bonheur matériel y siège. La justice positive des rapports civils n’est pas absente ; le peuple est bon, la bourgeoisie bienveillante ; elle aime les concerts, la campagne, les bords du Danube et le poulet frit ; les arts ont dans le château impérial (Burg) et les palais de la noblesse leurs merveilles et leurs trésors ; les médailles, les statues et les tableaux ne manquent pas ; des savans et des poètes dont toute littérature pourrait s’honorer, accueillent l’étranger avec une grace affectueuse ; la haute aristocratie a des causeries dont l’élégance ne saurait guère être effacée par aucune autre société de l’Europe. Eh bien ! au milieu