la bouche de ces deux cantatrices, ce n’est pas la note qui est solennelle, c’est le timbre de la voix. La phrase originale dite simplement, mais fidèlement, est vulgaire et vide. Qu’une femme de génie brode sur la trame nue et déserte de quelques phrases insignifiantes la tragédie ou le drame, c’est une bonne fortune pour l’auditoire et pour l’auteur, mais qui n’agrandit pas de l’épaisseur d’un cheveu la pensée du musicien. Il est arrivé aussi à Mrs Siddons de faire trembler toute une salle avec deux lignes de Rowe. Est-ce que Rowe est devenu le frère de Shakspeare ? Talma était admirable en récitant les alexandrins de Lafosse et même de M. Lucien Arnault, comme Rubini en chantant le Pirate ; qu’en faut-il conclure pour M. Lucien Arnault et M. Bellini ?
Oui, Bellini est un homme heureusement doué. Oui, il y a dans sa nature une grace incontestable. Mais la science et la méditation n’ont pas fécondé cette nature. Mais, à force de s’exagérer le mérite de la simplicité, il arrive au vide, au néant, et il laisse pleine carrière à la prima donna, au primo tenore, et tant mieux s’il tombe aux mains de Mme Malibran ou de Mme Pasta. Est-ce là vraiment une musique expressive par elle-même ?
Mme Malibran est encore aujourd’hui telle que nous l’avons connue à Paris ; c’est toujours la même richesse de nature, la même abondance dans l’invention, la même puérilité de coquetterie, mais aussi la même imprévoyance dans les moyens qu’elle emploie pour agir sur l’auditoire. M. Bishop, chargé d’adapter la musique de Bellini aux paroles anglaises, a respecté religieusement toute la partition italienne. Il n’a fait qu’une faute, bien vénielle assurément, et que je lui pardonne de grand cœur ; il a fait prendre l’ouverture d’un morceau de sa composition, où se trouvent entassées pêle-mêle toutes les trivialités d’un orchestre de mélodrame. Ce serait une symphonie admirable pour les chiens savans ou les serpens à sonnettes, une vraie symphonie foraine. Mais que cette faute soit remise à M. Bishop ! car il n’a pas commis le grand opéra de M. Barnett, le Sylphe de la montagne. Le poète anglais, chargé du libretto de la Sonnambula, a traduit avec une littéralité scrupuleuse les vers de Romani. Quelquefois, il est vrai, la lettre a tué l’esprit ; mais il ne faut pas se montrer trop sévère pour l’inélégance de cette imitation, en songeant que la partition originale, grace à cette littéralité, s’est conservée toute entière.
Je ne puis pas non plus me plaindre des scènes dialoguées ajoutées au libretto italien. Alessio est devenu un niais très amusant, quoique très banal sous les traits de M. Duruset. Miss Betts est très bien placée dans le rôle de Liza ; quand elle aperçoit Amina, après l’aventure de la chambre, elle dit avec une pruderie parfaite : I won’t be seen even speaking to her (je ne veux pas qu’on me voie même lui parler) ; il y a dans l’accent de miss Betts une chasteté furieuse que rien ne peut rendre. Je ne crois pas qu’il soit jamais donné à une actrice française d’atteindre cette pruderie radicale. Le comte Rodolfo, M. Seguin, ne fait pas tache dans l’ensemble, mais ne mérite pas l’enthousiasme du parterre et des loges ; il se résigne d’assez bonne grace aux applaudissemens, et nous devons lui tenir compte de sa modestie ; sa voix est une assez belle basse, mais il la conduit gauchement. Dans Elvino, Templeton fait grand plaisir, même