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THÉÂTRES DE LONDRES.

Je supprimerais sans regret la pirouette d’Amina devant le comte Rodolfo. C’est une pirouette bien faite, une espièglerie charmante, mais inutile, je crois, et que Mme Malibran doit rayer de sa mémoire.

Dans la partie sérieuse de la Sonnambula, elle a été toujours puissante, plusieurs fois sublime. Je dois ajouter cependant qu’il lui est arrivé de dépasser le but. Était-ce, de sa part, défaut de goût ? je ne le pense pas. Tous les ornemens de son chant, qui, pour la plupart, sont improvisés, brillent en général par une rare élégance. Et puis elle ne manque jamais un effet dramatique, elle pose admirablement les scènes les plus difficiles. Ainsi, par exemple, quand elle se jette aux genoux d’Elvino, sa pantomime est d’une exquise simplicité, son cri est déchirant, l’auditoire frissonne comme devant un danger réel ; elle comprend à merveille ce qu’il faut faire, et le fait mieux que personne. Je ne puis pas douter de l’étendue et de la netteté de son intelligence. Pourquoi donc va-t-elle au-delà ? Pourquoi ? C’est qu’elle chante à Covent-Garden.

En résolvant par cette laconique réponse une question aussi grave dans le domaine de l’art dramatique, je suis loin de vouloir faire une injure à l’auditoire anglais. Une rapide analyse de ma réponse suffira, je l’espère, pour la rendre parfaitement claire, et pour la justifier.

Quand Amina se réveille pour la seconde fois, aperçoit Elvino, craint de rêver, et, sûre enfin de la réalité, s’élance dans les bras de son amant, elle pourrait courir à lui simplement, comme une jeune fille amoureuse, d’un pas rapide, je le veux bien ; mais il est au moins inutile qu’elle prenne son élan comme pour franchir un fossé. Pourquoi Mme Malibran, qui sait cela aussi bien que nous, se résout-elle, contre l’évidence, à forcer un effet si naturellement indiqué ?

À Favart, à San-Carlo, à la Scala, elle ne ferait pas ce qu’elle fait à Covent-Garden ; car la France, l’Italie et l’Angleterre jugent diversement l’art dramatique.

À Paris, nous sommes sévères, et même nous allons volontiers jusqu’à la pruderie. Les cantatrices les plus sûres d’elles-mêmes, applaudies chaque soir à Naples ou à Milan, redoutent le théâtre italien de Paris comme une épreuve hasardeuse, et cependant, par une fierté glorieuse, elles ne veulent pas décliner la compétence de ce tribunal austère. Elles ont raison de venir à nous, et nous devons les remercier. Mais elles pourraient, sans se révolter contre la justice, contester bien souvent notre juridiction. À Paris, en effet, nous tenons bien plus à notre avis qu’à notre plaisir. Quand nous écoutons le plus bel opéra du monde, don Giovanni, chanté par les premiers gosiers de l’Europe, nous sommes sur le qui vive et nous faisons bonne garde. Nous épions Mlle Sontag et Mme Malibran comme des professeurs de solfège. Ni la douleur de dona Anna, ni la coquetterie de Zerlina, ne réussissent à nous captiver. Avant tout, nous demandons aux virtuoses une correction irréprochable ; car le moment le plus important de notre soirée n’est pas celui où l’émotion nous arrache des larmes : toute notre joie se concentre dans les causeries du foyer. Là nous étalons à notre aise notre incorruptible sagesse. Nous faisons gloire de