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bune en plein air est un trône ; Fleury le Gaulois est votre capitaine des gardes ; Planet, votre fou ; et moi, si vous voulez le permettre, je serai votre historiographe ; mais morbleu, sire, conduisez-vous bien, car plus votre humble barde augure de vous au départ, plus il en exigera, quand vous aurez touché le but, et vous savez qu’il ne sera pas plus facile à faire taire que le barbier du roi Midas. Et ici, je vous demande pardon de donner le titre de roi à feu Midas. Celui-là, on le sait, n’est pas de vos cousins ; c’est un roi d’institution humaine, un de ces beaux types de rois légitimes à qui les oreilles poussent tout naturellement sous le diadème héréditaire.

Croyez-vous donc que je conteste vos droits ? Oh ! non pas vraiment : nous ne disputerons jamais là-dessus. Certain roi naquit pour être maquignon ; toi, tu es né prince de la terre. Moi-même, pauvre diseur de métaphores, je me sens mal abrité sous le parapluie de la monarchie ; mais je ne veux pas le tenir moi-même, je m’y prendrais mal, et tous les trônes de la terre ne valent pas pour moi une petite fleur au bord d’un lac des Alpes. Une grande question serait celle de savoir si la Providence a plus d’amour et de respect pour notre charpente osseuse que pour les pétales embaumés de ses jasmins. Moi, je vois que la nature a pris autant de soin de la beauté de la violette que de celle de la femme, que les lis des champs sont mieux vêtus que Salomon dans sa gloire, et je garde pour eux mon amour et mon culte. Allez, vous autres, faites la guerre, faites la loi. Tu dis que je ne conclus jamais ; je me soucie bien de conclure quelque chose ! j’irai écrire ton nom et le mien sur le sable de l’Hellespont dans trois mois ; il en restera autant le lendemain, qu’il restera de mes livres après ma mort, et peut-être, hélas ! de tes actions, ô Marius ! après le coup de vent qui ramènera la fortune des Sylla et des Napoléon sur le champ de bataille.

Ce n’est pas que je déserte ta cause, au moins ; de toutes les causes dont je ne me soucie pas, c’est la plus belle et la plus noble. Je ne conçois même pas que les poètes en puissent avoir une autre, car si tous les mots sont vides, du moins ceux de patrie et de liberté sont harmonieux, tandis que ceux de légitimité et d’obéissance sont grossiers, mal sonnans, et faits pour des oreilles de gendarmes. On peut flatter un peuple de braves ; mais aduler une