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discours ? 4o À quand donc la conclusion ? 5o Quand pourrai-je m’asseoir, etc ?

J’ai répondu hier à la première question : c’est que travailler pour la gloire est à la fois un rôle d’empereur et un métier de forçat ; c’est que tu es enfermé dans ta volonté comme dans une forteresse, et que le moindre insecte qui effleure de l’aile les vitraux de ton donjon te fait tressaillir et réveille en toi le douloureux sentiment de ta captivité. Prométhée, prends courage, tu es plus grand couché sur ton roc avec les serres d’un vautour dans le cœur, que les faunes des bois dans leur liberté. Ils sont libres, mais ils ne sont rien, et tu ne pourrais être heureux à leur manière. C’est ici le lieu de répondre à ta cinquième question : quand pourrai-je m’asseoir avec toi dans les longues herbes, sur les rives d’un torrent ? — Jamais, Éverard, à moins qu’une armée ennemie ne fût sur l’autre rive, et que tu n’attendisses là le signal du combat. Mais oublier la guerre et dormir dans les roseaux, toi ? Je voudrais savoir quels rêves fit Marius dans le marais de Minturnes ; à coup sûr, il ne s’entretint pas avec les paisibles naïades. Hommes de bruit, ne venez pas mettre vos pieds sanglans et poudreux dans les ondes pures qui murmurent pour nous ; c’est à nous, rêveurs inoffensifs, que les eaux de la montagne appartiennent ; c’est à nous qu’elles parlent d’oubli et de repos, conditions de notre humble bonheur qui vous feraient rire de pitié. Laissez-nous cela, nous vous abandonnons tout le reste, les lauriers et les autels, les travaux et le triomphe. — Si quelque jour, blessé dans la lutte, ou prisonnier sur parole, tu viens t’asseoir près de ton frère le bohémien, nous regarderons les cieux ensemble, et je te parlerai des astres qui président à la destinée des mortels. Voilà, je le sais, tout ce qui pourra t’intéresser, tout ce que tu voudras voir dans les eaux limpides ; ce sera le reflet incertain et tremblant de ton étoile, et tu te hâteras de la chercher à la voûte céleste pour t’assurer qu’elle y brille encore de tout son éclat. Non, non, tu n’aimerais pas ces vallées silencieuses où l’aigle est roi et non pas l’homme, ces lacs où le cri de la plus petite sarcelle trouverait plus d’échos que ta parole. Les déserts que nous ne pouvons soumettre à la charrue ou au glaive, ces monts escarpés, ce sol rebelle, ces impénétrables forêts, où l’artiste va pieusement évoquer les sauvages divinités retranchées