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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

certains côtés réels de la vie, je ne saurais regarder ces fautes comme assez graves pour exiger réparation ou expiation. Ce serait leur faire trop d’honneur, et je ne vois pas que mes torts aient empêché ceux qui s’en plaignent le plus de se bien porter. Tous ceux qui me connaissent depuis long-temps m’aiment assez pour me juger avec indulgence et pour me pardonner le mal que j’ai pu faire. Mes écrits, n’ayant jamais rien conclu, n’ont causé ni bien, ni mal : je ne demande pas mieux que de leur donner une conclusion, si je la trouve ; mais ce n’est pas encore fait, et je suis encore trop peu avancé sous certains rapports pour oser hasarder mon mot. J’ai horreur du pédantisme de la vertu. Il est peut-être utile dans le monde pour moi, je suis de trop bonne foi pour essayer de me réconcilier par un acte d’hypocrisie avec les sévérités que mon irrésolution (courageuse et loyale, j’ose le dire) attire sur moi. J’en supporterai la rigueur, quelque pénible qu’elle me puisse être, tant que je n’aurai pas la conviction intime que j’attends. Me blâmes-tu ? Je suis dans un tout petit cercle de choses, et pourtant tu peux le comparer, à l’aide d’un microscope, à celui où tu existes. Voudrais-tu, pour acquérir plus de popularité ou de renommée, feindre d’avoir les opinions qu’on t’imposerait, et proposer comme article de foi ce qui ne serait encore qu’à l’état d’embryon dans ta conscience ? Je tenais trop à ton estime pour ne pas t’exposer ma situation ; c’est un peu long ; pardonne-moi d’avoir parlé si sérieusement du côté sérieux de ma vie ; ce n’est pas ma coutume : adieu, je t’envoie un petit paquet de pages imprimées que j’ai choisies pour toi dans ma collection, hélas ! beaucoup trop volumineuse !

18 avril.

Ami, tu me reproches sérieusement mon athéisme social, tu dis que tout ce qui vit en dehors des doctrines de l’utilité ne peut jamais être ni vraiment grand, ni vraiment bon. Tu dis que cette indifférence est coupable, d’un funeste exemple, et qu’il faut en sortir ou me suicider moralement, couper ma main droite et ne jamais converser avec les hommes. Tu es bien sévère, mais je t’aime ainsi. Cela est beau et respectable en toi. Tu dis encore que