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il ne fait pas bon ici pour vous. Les parfums des fleurs nouvelles, l’odeur de la sève, fermentent partout trop violemment ; il semble qu’une atmosphère d’oubli et de fièvre plane lourdement sur la tête ; la vie de sentiment émane de tous les pores de la création. Fuyons ! l’esprit des passions funestes erre dans ces ténèbres et dans ces vapeurs enivrantes. Ô Dieu ! il n’y a pas long-temps que j’aimais encore ; qu’une pareille nuit eût été délicieuse… Chaque soupir du rossignol frappe la poitrine d’une commotion électrique. Ô Dieu ! mon Dieu ! je suis encore si jeune !

Pardon, pardon, mon ami, mon frère ! à cette heure-ci, tu regardes ces blanches étoiles, tu respires cette nuit tiède, et tu penses à moi dans le calme de la sainte amitié ; moi, je n’ai pas pensé à toi, Éverard ! j’ai senti des larmes sur mes joues, et ce n’était ni la puissance de ta forte parole, ni les émotions de tes tragiques et glorieux récits, qui les faisaient couler. Mais c’est un éclair pâle qui a glissé sur l’horizon ; c’est un fantôme incertain qui a passé là-bas sur les bruyères. Tout est dit, l’esprit du météore n’a plus de pouvoir sur moi ; son rayon fugitif peut me faire tressaillir encore, comme un voyageur peu aguerri contre les terreurs de la nuit ; mais j’entends du haut de ces étoiles, qui nous servent de messagers, ta voix austère qui m’appelle et me gourmande. Fanatique sublime, je vous suis, ne craignez rien pour moi des enchantemens et des embûches que l’ennemi nous tend dans l’ombre. J’ai pour patron saint George, le guerrier céleste qui écrase les dragons sous les pieds de son cheval. C’est Dieu qui conduit ton bras, c’est la bravoure et l’orgueil divin qui rendent tes pieds invulnérables, ô George le bien heureux ! Ami, mon patron est un grand lutteur, un hardi cavalier ; j’espère qu’il m’aidera à dompter mes passions, ces dragons funestes qui essaient encore parfois d’enfoncer leurs griffes dans mon cœur, et de l’arracher à son salut éternel.

Je reviens à toi, ami, ne t’inquiète pas de ces accès d’une émotion que tu ne connais plus ; un jour viendra aussi pour moi, peut-être bientôt, où rien ne troublera plus ma sérénité, où la nature sera un temple toujours auguste, dans lequel je me prosternerai à toute heure pour louer et bénir. Voici d’ailleurs un petit vent qui se lève et qui balaie les vapeurs. Voici une étoile qui montre sa