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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/734

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REVUE DES DEUX MONDES.

drais être quelque chose de mieux qu’un pauvre hanneton, afin de voir si vraiment tu aurais ce courage et cette vertu-là. Mais bah ! tu ne l’aurais pas, charlatan que tu es ! — Qui sait, pourtant ! toi qui ne ris jamais ! peut-être. — Ce serait beau, et je donnerais ma tête de bon cœur pour le plaisir d’avoir vu dans ma vie un seul vrai Romain.

Il y a, ma parole d’honneur, des momens où je m’imagine que j’ai trouvé la vertu réfugiée et cachée en vous comme au temps où les hommes la forcèrent d’aller se fortifier dans des cavernes de rochers sauvages et inexpugnables. — Mais si vous n’étiez que des fanatiques ! — Bah ! c’est toujours cela : n’est pas fanatique qui veut, surtout par le temps qui court, et je serais un peu plus fier de moi que je n’ai sujet de l’être, si j’étais seulement un peu fou à votre manière. — Nous autres, qui rions toujours, nous ressemblons parfois à ces idiots qui rient en voyant les gens sensés se conduire naturellement. L’autre jour, un paysan de mes amis (j’espère que je parle en style républicain) entra dans mon cabinet, et me voyant très occupé à écrire, il se mit à hausser les épaules d’un air de pitié. Il se pencha sur moi, en regardant ce que je faisais, à peu près comme s’il eût payé pour voir les tours du singe à la foire. Il prit ensuite un livre sur ma table : c’était, Dieu me pardonne ! un volume du divin Platon, et il l’ouvrit à l’envers, en tournant les feuillets d’un air attentif, puis le replaça sur la table en me disant du ton d’un profond mépris : C’est donc à ces fadaises-là, mon petit monsieur, que vous passez le temps, fêtes et dimanches ? y a de drôles de gens dans la vie de ce monde ! — Et il hocha la tête, en éclatant de rire, si bien que j’eus besoin de toute ma philantropie démocratique pour ne pas le pousser par les épaules à la porte.

Je me suis calmé pourtant en songeant que j’étais cent fois le jour dans le cas de ce paysan, vis-à-vis de toi et des tiens, et je me suis émerveillé de la patience avec laquelle vous supportiez l’impudente et stupide raillerie des fainéans comme nous qui ne sont bons à autre chose qu’à critiquer ce qu’ils ne comprennent pas et ce qu’ils ne sauraient faire. Mais je dirai comme Planet : — Envoyez-moi donc promener ! — Qu’est-ce que vous faites de moi