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ment juger des accusés absens ? Tous les hommes impartiaux sont frappés de cet argument, et une majorité redoutable suivrait sans doute M. Molé, si sa conscience le forçait d’abandonner le siége du juge. On peut être assuré que M. Molé restera tant qu’il pourra le faire, que tous ses efforts tendront à amener une décision telle qu’elle lui permette de siéger jusqu’à la fin ; mais M. Molé est un de ces hommes qui ne tergiversent pas dans les cas où il lui semble que l’honneur est engagé, et si on le force dans ses principes, quoi qu’il lui en coûte, il s’éloignera. Ce jour-là, la cour des pairs sera privée de la moitié de ses membres, sans excepter ceux que la fatigue physique aura écartés. On comprend maintenant pourquoi l’ajournement à une autre session a été demandé si instamment, et presque résolu chez M. Decazes.

La lettre de Mme Lionne, femme du gérant de la Tribune, fait prévoir les rigueurs qui attendent M. Trélat et ses amis. M. Lionne a été transféré, sans nécessité, de Sainte-Pélagie où il était détenu, à la maison de travail de Clairvaux. On l’a conduit sur une charette, comme un malfaiteur ; et sa position était si misérable, qu’il excitait la pitié par toutes les villes qu’il traversait. À cette occasion, le National a publié deux belles pages, dignes de la plume de M. Carrel, où il rappelait les anciennes protestations de M. Thiers le journaliste, contre l’infâme traitement infligé par M. de Corbière à M. Magalon. M. Thiers a répondu, par l’organe du Journal de Paris, qu’il n’entendait protester à cette époque que contre la pensée de condamner des écrivains à tresser de la paille ou à creuser des sabots. Le journal ministériel élève une autre distinction. Il dit que ce n’est pas en compagnie de galériens, que ce n’est pas à pied, de brigade en brigade, que M. Lionne a été transféré dans une maison de détention ; c’est en voiture, et avec tous les égards qu’il pouvait désirer.

Répondons ici qu’une voiture et des égards semblables avaient été offerts à M. Magalon, quand on le transféra à Poissy. La voiture était une charette jonchée de paille ; les égards, deux gendarmes à cheval, le sabre nu ; mais comme il fallait payer cette distinction, M. Magalon préféra faire la route à pied. M. Lionne est âgé de 50 ans, malade ; s’il a accepté cet étrange adoucissement, c’est qu’il savait qu’en prenant la courageuse résolution de Magalon, il serait mort en route.

Magalon ! comment ce nom ne fait-il pas frémir M. Thiers ? comment ne lui inspire-t-il pas une vive commisération pour tous les gérans de journaux condamnés par la loi ? Faut-il donc rappeler à M. Thiers que nous qui écrivons ces lignes, nous avons pris place avec lui et l’infortuné