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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/126

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REVUE DES DEUX MONDES.

grands maîtres en Allemagne et en Italie, et dont les tableaux portent tous, plus ou moins, le caractère des croyances qui l’animent, se présenta à M. Thiers. C’était M. Ziégler. Déjà long-temps avant le départ de M. Delaroche, M. Gavé, chef de la division des arts, avait offert à M. Ziégler, au nom du ministre, de peindre l’hémicycle ou la demi-coupole de la Madeleine. Ce travail n’avait pas été destiné à M. Delaroche, et il avait été offert à M. Ingres qui l’avait refusé. Il est vrai que M. Delaroche avant son départ en avait parlé au ministre, qui s’était excusé sur le manque de fonds ; mais M. Delaroche offrit de s’en charger pour dix mille francs, pour rien, et M. Thiers, grand prometteur s’engagea, dit-on, avec lui. Rien ne fut signé toutefois, et comme M. Thiers ne tient pas beaucoup à ses promesses, bientôt après le départ de M. Delaroche, le travail de l’hémicycle fut confié à M. Ziégler, et cette fois la commande ministérielle fut accompagnée d’une signature.

Pendant ce temps, M. Delaroche étudiait tranquillement les fresques de Rome, de Venise, de Naples et de Milan, et s’enfermait, en se soumettant à toutes les rigueurs de la vie claustrale, dans le beau couvent des Camaldules près de Florence, où il essayait, à force de méditations et de retraite, d’obtenir du ciel un peu d’inspiration religieuse, et peut-être aussi un peu de couleur. C’est à Rome, je crois, que la terrible nouvelle lui parvint. Il partit aussitôt et vint s’abattre au ministère de l’intérieur, où il y eut une scène assez vive entre le peintre et le ministre. M. Delaroche avait reçu vingt-trois mille francs en avance ; il déposa vingt-trois mille francs sur la table, renonça à ses travaux, et se retira chez lui, refusant de rien entendre. Depuis ce temps, M. Delaroche se tient sous sa tente, laissant à ses amis le soin de ses intérêts, et ceux-ci s’agitent autour du château et du ministère pour forcer M. Ziégler à renoncer à la peinture de la demi coupole. De son côté, M. Ziégler s’obstine à la conserver, et il fait bien, car M. Ziégler a fait déjà un carton admirable, et se sent fort de ses études et de son talent. M. Ziégler répond aussi fort bien à ceux qui l’assiègent, en disant qu’il n’eût pas accepté, comme M. Delaroche, pour deux cent mille francs de peinture à fresque, si ses études de fresque n’eussent pas été faites, et s’il n’eût pas déjà tenté des essais sur les murs de la grande église de Munich, le chef d’œuvre moderne en ce genre. En un mot, M. Ziégler tient bon ; il sent toute l’importance du monument auquel il attachera son nom, et il jure qu’il briserait pour toujours ses pinceaux, s’il avait la faiblesse d’abandonner un travail qui décidera de sa vie entière.

On pense bien que le ministre aux doubles promesses éprouve quelque embarras, d’autant plus désagréable que la cour le blâme hautement,