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génie du peintre s’est élevé à toute la majesté du sujet : Majestati Romœ par ingenium.

Cette lettre est si célèbre, qu’il est peu nécessaire de la citer tout entière. Je ferai remarquer seulement que le poète français est frappé de la limpidité de l’air et de la beauté des lignes de l’horizon romain, s’il dépeint les contours suaves et fuyans des montagnes qui les terminent, et cette vapeur particulière répandue dans les lointains, qui arrondit les objets et fait disparaître ce qu’ils pourraient avoir de trop dur ou de trop heurté dans leurs formes. Il ne s’en tient pas, comme le poète allemand, à ces observations matérielles ; ce n’est pas seulement l’horizon et la lumière de la campagne romaine qu’il décrit, il décrit cette campagne elle-même, et communique au lecteur quelque chose de la désolation sublime qu’elle répand dans l’âme de ceux qui savent la contempler.

« Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines dans des lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrens de l’hiver, qui, vues de loin, ont elles-mêmes l’air de chemins battus et fréquentés, et qui ne sont que le lit d’une onde orageuse, qui s’est écoulée comme le peuple romain. À peine découvrez-vous quelques arbres, mais vous voyez partout des ruines d’aqueducs et de tombeaux qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d’une terre composée de la poussière des morts et des débris des empires ; souvent, dans une grande plaine, j’ai cru voir de riches moissons ; je m’en approchais, et ce n’étaient que des herbes flétries qui avaient trompé mon œil. Sous ces moissons arides, on distingue quelquefois les traces d’une ancienne culture. Point d’oiseaux, point de mugissemens de troupeaux, point de villages ; un petit nombre de fermes délabrées se montrent sur la nudité des champs ; les fenêtres et les portes en sont fermées, il n’en sort ni fumée, ni bruit, ni habitans. Une espèce de sauvage, presque nu, pâle et miné par la fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spectres qui, dans nos histoires gothiques, défendent l’entrée des châteaux abandonnés… Vous croiriez peut-être, mon cher ami, d’après cette description, qu’il n’y a rien de plus affreux que les campagnes romaines ; vous vous tromperiez beaucoup : elles ont une inconcevable grandeur… »

Voilà ce que Goëthe n’a point senti, et ce qu’il fallait sentir pour