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hardiesse et profondeur, mais c’est plus pensé que vu. La réflexion cache l’objet ; de là souvent une certaine préoccupation d’une idée formée d’avance, qui empêche de saisir les choses telles qu’elles sont, et peut jeter dans l’erreur ou l’exagération.

Corinne dit, en parlant de la coupole de Saint-Pierre : « Ce dôme, en le considérant même d’en bas, fait éprouver une sorte de terreur ; on croit voir des abîmes suspendus sur sa tête… » Je ne puis penser que personne ait jamais éprouvé une pareille impression dans Saint-Pierre, dans ce monument dont l’étendue réelle est dissimulée par l’harmonie des proportions. Ces abîmes étaient évidemment dans la vaste imagination de Mme de Staël. Corinne ajoute : « Je n’examine jamais Saint-Pierre en détail, parce que je n’aime pas y trouver ces beautés multipliées qui dérangent un peu l’impression de l’ensemble. » Il n’y a pas de danger à Saint-Pierre que l’impression de l’ensemble soit dérangée par ces beautés multipliées ; excepté deux ou trois tombeaux, les détails et les ornemens sont très médiocres quand ils ne sont pas très mauvais. On pourrait parier que Mme de Staël ne les avait pas regardés avec beaucoup d’attention. Au reste, il lui était facile d’occuper mieux sa pensée ; il y aurait une souveraine injustice à conclure de là et de quelques inexactitudes, qu’une critique mesquine aurait beau jeu à relever, que Mme de Staël n’a pas senti Rome. Elle en a senti ce qu’elle a si bien appelé, « le charme dont on ne se lasse jamais. » Elle en a senti jusqu’à la poésie quotidienne et familière, témoin ces paroles : « C’est un des plaisirs de Rome que de dire : Conduisez-moi sur les bords du Tibre ; menez-moi sur les bords du Tibre… » Elle a bien saisi et bien dessiné la physionomie de Rome, témoin cette page si vraie :

« Sans doute on est importuné de tous ces bâtimens modernes qui viennent se mêler aux antiques débris. Mais un portique debout à côté d’un humble toit ; mais des colonnes entre lesquelles de petites fenêtres d’église sont pratiquées, un tombeau servant d’asile à toute une famille rustique, produisent je ne sais quel mélange d’idées grandes et simples, je ne sais quel plaisir de découverte qui inspire un intérêt continuel ; tout est commun, tout est prosaïque dans la plupart de nos villes européennes, et Rome, plus souvent qu’aucune autre, présente le triste aspect de la misère et de la dé-