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années seulement, et que, sous la glace polaire ou l’ardeur du tropique, vous entendiez l’accent national, un mot, un seul ; le buon giorno des Italiens, le welcome des Anglais, le bonjour de la France ; le tressaillement de votre cœur vous dira que la patrie est dans le langage plus que dans le sol. La communauté de l’idiome représente la communauté des intérêts. La parole ! la parole ! elle est plus que la force, que l’espace et le temps ; c’est la pensée devenue palpable.

Jamais les colonies qui ont emprunté leur dialecte à une contrée-mère déjà civilisée, n’ont eu de littérature propre. Asservies, révoltées ou émancipées, le langage les enchaîne éternellement à la métropole ancienne. Pour s’isoler un peu de l’Angleterre, l’Écosse a été forcée d’employer un dialecte de l’anglais ; encore n’a-t-elle créé qu’une nuance diverse de la même littérature. Une colonie voit-elle naître un grand écrivain ? aussitôt il va se confondre avec les célébrités de la métropole. Parmi les poètes assez nombreux que le Mexique a produits, un seul homme de génie s’est montré, Alarcon : phrase, pensée, images, tout en lui est espagnol ; l’instrument dont il se servait, rebelle à tout autre usage, ne voulait reproduire que le génie de l’Espagne. Rien de mexicain chez Alarcon, dramaturge admirable, oublié, bien supérieur, selon nous, à Lope de Vega, et dont la demi-obscurité est une de ces injustices littéraires que le temps répare quelquefois[1].

Les États-Unis sont donc anglais : ils n’ont point de littérature spéciale. Ce grand peuple, cette république fractionnée en vingt républiques, et qui en produira mille dans un espace de temps donné ; cette nouvelle Europe, ce rajeunissement de toutes les destinées du monde vieilli, ce modèle et cette expérience gigantesque ; n’avoir

  1. Dans la Colleccion de las piezas dramaticas de los autores espanoles (Madrid 1826), les éditeurs ont inséré deux comédies de don Juan Ruiz de Alarcon y Mendoza, Mexicain. Ce nom, à peine connu en France, est peu apprécié même en Espagne. C’est à lui que Corneille doit le Menteur (la Verdad sospechosa). Au mérite de l’invention la plus féconde, Alarcon joint une facilité, une énergie, une pureté d’exécution qui l’auraient placé au premier rang, si les critiques de tous les pays, vrais moutons de Panurge, ne s’étaient contentés de copier leurs prédécesseurs.