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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/188

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REVUE DES DEUX MONDES.

vous le voyez gêné, il chante en tremblant, il pressent qu’on ne l’écoutera pas ; son idée ne le pénètre jamais, et il s’arrête souvent aux mots, heureux et satisfait d’avoir formé, avec des paroles, je ne sais quelle mélodie douce, dont la caresse est plus assoupissante qu’enivrante. À ce triste allanguissement de la vraie poésie, je ne vois d’autre cause que la fausse position du poète. Il a perdu le sacerdoce ; il étouffe dans la boutique ; le marchand est le seul prêtre de la société où il vit. On traite son art de puéril, et il l’exerce puérilement ; quand il veut se relever un peu, il fait de la morale ; pauvre morale enfantine, babillage vertueux en vers rimés ou en vers blancs ; causerie scandée, que l’on pourrait distribuer en prix à toutes les jeunes personnes des deux hémisphères ; poésie qui ne va pas beaucoup plus haut que Florian et Berquin. Le poète d’Amérique se renferme (ce qui est louable) dans les limites du décent et du convenable ; il met de la probité dans sa versification, de la loyauté dans son mètre, un extrême fini dans sa strophe, de l’exactitude dans sa main-d’œuvre et de la chasteté dans ses tableaux ; toutes ces choses assurées, il s’attache à ne rien négliger ; la description l’entraîne ; nul choix dans les détails : il marche devant lui, peignant les passions à la gouache, amortissant les teintes trop sensuelles et trop fortes, copiant les instrumens de ménage, ainsi que les armures de guerre, craignant de pervertir son public, et ne craignant pas assez de l’ennuyer.

Trois poètes, Bryant, Percival et Dana sont dignes d’être mentionnés. Le sentiment moral est profond et chaste chez Bryant ; il ne manque ni de pureté, ni d’élégance, mais de verve. On ne sent pas assez vivement dans sa poésie le souffle de l’inspiration. James G. Percival, avec plus d’inégalités, a peut-être plus de génie. La prolixité, l’entassement des images, la lenteur des périodes et l’incorrection déparent presque toutes ses œuvres. La misère et l’isolement ont peut-être flétri dans le germe cette intelligence née pour de grandes destinées ; et quelques-uns des morceaux sortis de sa plume annoncent qu’il se serait élevé jusqu’à la passion, si la passion pouvait fleurir en Amérique. Enfin George Dana, qui jouit aujourd’hui de toute la popularité que les Américains peuvent accorder à un poète, s’est habilement modelé sur le type de Words-