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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/192

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REVUE DES DEUX MONDES.

strophes, et qui jouit d’une grande réputation par delà les mers. Le Boucanier, de tous les poèmes américains le plus énergique et le plus original, est encore une imitation. Wordsworth avait chanté le Vieux Matelot puni par le ciel pour avoir tué un albatros ; Crabbe, en écrivant son Pierre Grimes[1], avait donné, pour ainsi dire, l’anatomie complète du remords ; Byron avait jeté de l’intérêt sur la vie du corsaire. Toutes ces sources d’intérêt, le fantastique de Wordsworth, la vie sauvage des brigands de la mer, le repentir furieux dans une nature vulgaire, ont concouru au poème de Dana.

Le Boucanier.

« Il y a neuf lieues, du rivage à l’île. C’est une île solitaire, bordée de roches aiguës et dentelées ; point de bruit sur sa grève, point de bruit sur ses rochers âpres ; vous n’entendez que le roulis des flots, quelquefois le cri de la mouette qui, fendant d’une aile hardie l’écume blanche et jaillissante, revient trouver son nid sauvage. »

Ainsi parle le poète.

Il raconte ensuite que, depuis douze ans, le roi de cette île solitaire est Mathieu Lee, le boucanier, le meurtrier ; un homme trapu, à l’œil gris, au sourcil épais, au front bas, à la parole tour à tour violente et terrible, ou douce et caressante. Quiconque approchait de l’île, tombait sous sa hache ; les chaloupes chargées de matelots ne l’effrayaient pas ; il les attirait dans un piége, les tuait et les dépouillait. C’était un terrible homme que Mathieu Lee. Ses expéditions augmentaient sa fortune ; mais il dépensait beaucoup ; et un jour, je ne sais quel caprice le dégoûtant de cette existence aventureuse et sanguinaire, il arma un beau navire qu’il chargea de marchandises. Son intention était de devenir honnête homme. La mer ne fut pas de cet avis ; elle désempara le vaisseau, qu’elle jeta fort maltraité sur une côte d’Espagne.


« Ah ! s’écrie le boucanier, le métier de bon capitaine ne me

  1. J’ai traduit Pierre Grimes dans les Caractères et Paysages (p. 200)