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REVUE DES DEUX MONDES.

ii.

Enfermée dans sa chambre, seule et pensive, la belle Mattea se promenait en silence, les bras croisés sur sa poitrine dans une attitude de mutine résolution, et la paupière humide d’une larme que la fierté ne voulait point laisser tomber. Elle n’était pourtant vue de personne ; mais sans doute elle sentait, comme il arrive souvent aux enfans et aux femmes, que son courage tenait à un fil, et que la première larme qui s’ouvrirait un passage à travers ses longs cils noirs entraînerait un déluge difficile à réprimer. Elle se contenait donc et se donnait, en passant et en repassant devant sa glace, des airs dégagés, et affectait une démarche altière, en s’éventant d’un large éventail de la Chine, à la mode de ce temps-là.

Mattea, ainsi qu’on a pu le voir par la conversation de son père avec le gondolier, était une fort belle créature âgée de quatorze ans seulement, mais déjà très développée, et très convoitée par tous les galans de Venise. Ser Zacomo ne la vantait point au-delà de ses mérites en déclarant que c’était un véritable trésor, une fille sage, réservée, laborieuse, intelligente, etc., etc. Mattea possédait toutes ces qualités, et d’autres encore que son père était incapable d’apprécier, mais qui, dans la situation où le sort l’avait fait naître, devaient être pour elle une source de maux très grands. Elle était douée d’une imagination vive, facile à exalter, d’un cœur fier et généreux et d’une grande force de caractère. Si ces facultés eussent été bien dirigées dans leur essor, Mattea eût été la plus heureuse enfant du monde, et M. Spada, le plus heureux des pères. Mais Mme Loredana, avec son caractère violent, son humeur âcre et querelleuse, son opiniâtreté qui allait jusqu’à la tyrannie, avait sinon gâté, du moins affecté et irrité cette belle ame au point de la rendre orgueilleuse, volontaire, et même un peu farouche. Il y avait bien en elle un certain reflet du caractère absolu de sa mère, mais adouci par la bonté et l’amour de la justice, qui est la base de toute belle organisation. Une intelligence élevée qu’elle avait reçue de Dieu seul, et quelques furtives lectures romanesques récemment prises sur les heures du sommeil, la rendaient très supérieure