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ÉRASME.

ques promesses peut-être, devaient inspirer à l’homme que vous connaissez déjà, délicat de corps, facile d’esprit, impressionnable, prenant volontiers les avances pour des engagemens, et l’indifférence pour l’ingratitude.

Un an après, son langage n’était plus le même. La marquise avait promis une pension de deux cents livres, mais Érasme n’en avait rien reçu. C’est par lui que nous devions apprendre que la marquise s’était ruinée pour un beau damoiseau, elle qui aurait dû, dit sérieusement Érasme, s’attacher à quelque homme grave et imposant, comme il convenait à une femme de son âge. « Tu déplores que la marquise perde ainsi sa fortune, écrit-il à Battus, l’un de ses amis, mais tu me parais malade de la maladie d’autrui. Elle dissipe sa fortune, et tu t’en affliges ! Elle joue et badine avec son amant, et tu en prends du souci ! Elle ne peut rien donner, dis-tu, n’ayant rien ! Mais quand je regarde les causes qui l’empêchent de donner, j’en conclus qu’elle ne donne jamais rien, car de telles causes ne manquent jamais aux grands personnages. Elle a de quoi engraisser l’oisiveté et les débauches de ces gens à capuchon, effrontés libertins, tu sais qui je veux dire ; et elle n’a pas de quoi assurer le studieux repos d’un homme qui pourrait laisser des écrits dignes du regard de la postérité. »

Cependant la nécessité allait le faire tomber derechef aux genoux de la marquise ; depuis sa lettre à Battus, il lui était arrivé toutes sortes de malheurs. Il avait fait des pertes d’argent, lui qui en avait si peu à perdre. Dans un voyage qu’il fit en Angleterre, il avait emporté avec lui une assez bonne somme, fruit de ses ouvrages ; mais arrivé à Douvres, voilà qu’on l’avait obligé de vider ses poches : les lois somptuaires du pays, ou plutôt la douane de pirates qu’on décorait de ce nom, interdisaient l’entrée en Angleterre de l’argent étranger jusqu’à concurrence d’une certaine somme. Ses amis d’Angleterre étaient venus à son secours, et après quelque séjour parmi eux, il était parti pour s’embarquer à Douvres, et de là retourner à Paris, à son Paris bien-aimé, comme il l’appelle quelque part. Il portait sur lui quelques angelots d’or dans une bourse de cuir. Le temps était gros. Érasme était monté dans une barque pour gagner le vaisseau que les bas fonds tenaient éloigné de quelques brasses de la côte. La