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ÉRASME.

ciel sur la terre, non point la lune, mais celle qui a enfanté le soleil de la justice (la vierge Marie). Il est vrai qu’elle se montre facile aux vœux qui lui sont faits par des vierges ; car je ne vous compte pas tant parmi les veuves que parmi les vierges. Quand vous vous êtes mariée toute jeune, c’était seulement pour obéir à vos parens, et pour avoir des enfans : dans un mariage de ce genre, c’est moins le libre plaisir des sens, qu’il faut regarder, que la soumission passive. Mais qu’à l’âge où vous êtes, presque jeune fille encore, vous sachiez résister à la foule des prétendans qui aspirent à vos faveurs, qu’au sein d’une fortune si brillante, vous soyez si dure pour vous-même, c’est ce que je ne regarderai pas comme du veuvage, mais comme de la virginité. Si vous persévérez, il faudra que je vous place pieusement, non pas dans le chœur des adolescentes, dont le nombre, selon l’Écriture, ne se peut pas compter ; non pas dans les cinquante concubines de Salomon, mais parmi les cinquante reines, et cela, je l’espère, avec l’approbation de saint Jérôme. »

Dans le même temps qu’il écrivait cette lettre à la marquise de Wéere, il envoyait ses recommandations confidentielles à Battus. Il lui traçait tout un plan de campagne. « Qu’il lançât contre la marquise son fils Adolphe, avec des prières arrêtées en commun ; qu’il prît soin de mettre à couvert le caractère d’Érasme en présentant sa lettre comme un cri que lui arrachait le besoin ; qu’un homme délicat comme il était, voulant aller en Italie pour y prendre le grade de docteur, ne pouvait faire ce voyage sans de grandes dépenses, et que sa réputation, méritée ou non, ne lui permettait pas d’y aller à pied, et sans quelque espèce de train ; que Battus prît soin de faire sentir à la marquise combien plus de gloire et d’honneur lui reviendrait des écrits d’Érasme, que de ces théologiens qu’elle avait à sa charge ; que ces hommes débitaient des choses communes, tandis qu’il écrivait, lui, des choses durables ; que leurs indoctes sermons étaient entendus dans une ou deux églises, tandis que ses livres à lui seraient lus par toutes les nations ; que ces grossiers théologiens abondaient partout, tandis qu’il fallait plusieurs siècles pour trouver un homme comme lui ; — car, dit-il à Battus, vous n’êtes pas si superstitieux, à ce que je sache, que vous ayez du scrupule à faciliter par de