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taire ; les papes lui écrivent pour lui mander leur avènement, et lui offrir l’hospitalité publique à Rome ; les petites royautés, à l’exemple et à l’envi des grandes, les provinces et les villes à l’instar des royaumes, le convient à venir dans leur sein jouir d’un repos glorieux ; tout le monde le flatte, même Luther ; toutes les presses d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie, reproduisent ses écrits ; tout ce qui lit ne lit qu’Érasme ; une comparaison qu’il publie entre Budé et Badius, grand philologue d’alors, fait assez de bruit pour que François Ier s’en fasse rendre compte dans son conseil, comme d’une affaire d’état ; tout ce qui écrit imite sa manière, et ses adversaires même ne peuvent l’attaquer qu’en lui renvoyant son propre style ; le monde, tout plein de guerres prochaines, tout ému de l’ébranlement que doivent y causer bientôt l’ambition de trois jeunes princes, et les grands intérêts de civilisation universelle dont elle sera l’instrument aveugle, fait un moment silence autour d’Érasme, d’Érasme qui a ressuscité l’antiquité et l’Évangile, comme disent ses admirateurs ; il vient d’avoir cinquante ans, il n’est pas beaucoup moins nécessiteux qu’au commencement de sa vie, et toujours d’une santé chancelante, mais soutenue par la noble fièvre de la célébrité ; — eh bien ! ce silence, ce moment unique, cette attention des peuples suspendue autour d’Érasme, tout à coup une grande voix, partie de Wittemberg, une voix rude et injurieuse, la voix d’un homme du peuple, s’en empare ; Luther a détrôné Érasme !


Nisard.


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