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saluant à reculons ! La véritable chambre haute consent de s’appeler et de sembler toujours la chambre basse.

Combien je préfère à ces levers cérémonieux de notre speaker les bals populaires du président de votre chambre des députés, qui n’a pas, lui, de consigne à sa porte pour empêcher les fracs d’entrer ! J’aime surtout ses billets d’invitation numérotés : les quatre cent cinquante-neuf premiers pour les représentans du peuple, puis le quatre cent soixantième pour le duc d’Orléans, comme premier pair, et ainsi de suite. La pairie chez vous après le peuple ; c’est bien, à tout seigneur tout honneur.

C’est dommage qu’en France vous ne changiez pas les abus en eux-mêmes comme vous en changez les noms et les costumes. Votre système est tout différent du nôtre, mais je doute qu’il soit le meilleur. Nous sommes des sujets fort respectueux ; nous nous agenouillons aux pieds de notre royauté en la suppliant de prendre notre vouloir pour son bon plaisir. Vous autres, vous vous tenez debout et droits devant la vôtre, afin qu’elle vous mène par le nez, en vous laissant vous proclamer souverains tout à votre aise.

M. Abercromby, le speaker actuel, n’avait nullement sollicité l’honneur du fauteuil qu’à l’ouverture de la session lui a décerné le premier acte d’autorité des réformistes. Contraint qu’il est d’en maintenir, au nom de la chambre, les priviléges, il représente aussi dignement que le permet la grotesque coiffure qui lui est prescrite. Par un vrai bonheur, il a d’épais sourcils gris qui ne s’harmonisent pas mal avec la teinte blanchâtre de sa perruque présidentale. Malgré cette énorme crinière qui l’ombrage, sa figure n’a rien de farouche ; elle montre au contraire une gravité douce et affable ; ses manières ont une noble aisance ; il a bien aussi la parole sobre, la voix pleine et sonore qu’il faut, quand on a besoin de se faire entendre souvent d’une assemblée.

Mais les conservateurs ne lui pardonnent pas d’avoir, même involontairement, détrôné leur candidat. Ils regrettent les airs de dandy suranné et la vieille élégance fashionable de sir Charles Manners Sutton, qui, ayant vieilli au fauteuil, s’était habitué à regarder le torisme d’un lorgnon favorable.

Il est vrai que M. Abercromby, partisan prononcé des réformes, pour avoir accepté la présidence, ne s’est pas fait le censeur inexorable de ses amis radicaux. Ainsi, qu’O’Connell, provoqué par quelques lords imprudens, leur écrive au front de ces mots sanglans qui ne s’effacent pas, M. Abercromby a le tort grave de ne point s’interposer, afin d’empêcher les vengeances du grand orateur outragé. L’impartialité, selon les tories, serait de permettre leurs attaques sans autoriser la défense.