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ment l’air qu’il lui faut pour respirer. Lord Castelreagh est l’un des chefs de cette nouvelle école qui a régénéré le fashionablisme anglais. Or, cette école s’est absolument séparée de celle de Brummel, qui avait fondé sa puissance sur la toilette. Les nouveaux fashionables de la secte du noble lord affectent, au contraire, l’entière négligence et le laisser-aller des manières. Rien de voyant dans leurs équipages ni dans la tenue de leurs gens. Des voitures de couleurs foncées, des livrées sombres ; pour eux-mêmes, une extrême simplicité de mise. Jamais de gilets à fleurs ou chamarrés ; point de bijoux ; tout au plus le bout d’une chaîne d’or à la boutonnière d’un habit noir ; une bague ciselée qui trahit quelque mystérieux sentiment connu de toute la ville. D’ailleurs un raffinement surhumain de suffisance impertinente, un sublime mépris de tout ce qui n’est pas les cercles exclusifs où ils ont seuls accès ; un jargon prétentieux qui se sert la plupart du temps du français pour traduire des phrases du genre de celle-ci : Étiez-vous hier chez lady Hertford ? Toutes les personnes existantes étaient là. Donc, prenez lord Castelreagh comme le type parfait de cette première et suréminente catégorie des hommes à la mode à Londres.

Le second, M. Edward Lytton Bulwer, l’auteur bien connu de Pelham et de tant d’autres romans, est, comme son frère, un radical prononcé. Il est fort grand, et le paraîtrait davantage, s’il ne se tenait mal et tout courbé ; il a de grands cheveux blonds bouclés ; sa longue figure sans expression, ses gros yeux humides et fixes, ne révèlent guère en lui l’écrivain de génie. Je suppose que c’est un peu le succès incontestable de ses livres qui lui a ouvert les portes de la société exclusive, où il est très répandu. Pour la recherche de son costume, il appartient aux vieilles traditions fashionables. Vous ne le rencontrerez guère que débraillé, faisant flotter au vent les basques d’une somptueuse redingote doublée de satin ou de velours, avec des habits et des pantalons de nuances claires et éclatantes, et des bottes vernies ; brandissant quelque canne au pommeau riche et incrusté : il rappelle ces parvenus de mauvais goût qui encombrent à Paris les avant-scènes de votre Opéra. Je ne nie point les mérites d’intérêt réel qui abondent dans quelques-uns des romans, d’ailleurs si pauvrement écrits, de M. Edward Bulwer ; mais il ne semble pas qu’il eût dû s’exagérer leur valeur, au point de manifester l’orgueil suprême que trahissent à chaque page les tristes rapsodies qu’il a récemment publiées sous le titre de l’Étudiant. Je lui pardonnerais toutefois ce dernier ouvrage, plutôt qu’un trait qu’on m’a conté. Un jeune Américain s’était présenté chez lui l’autre jour, muni de lettres de recommandation. « Je suis enchanté de vous voir,