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somme, M. Bowring est resté ce qu’il était devant, c’est-à-dire un réformiste plein du désir de profiter de la réforme, un pâle disciple de l’école utilitaire de lord Brougham ; une manière de commis voyageur du Foreign-Office, parlant assez correctement trois ou quatre langues vivantes ; un poète qui met des quatrains un peu diffus dans les magazines ; au demeurant, le meilleur docteur du monde.

Cependant il était près de six heures ; il n’y avait plus de combattant à attendre ; c’était le moment d’ouvrir la lice. Selon l’ordre des motions du jour, le speaker appela le ministre de l’intérieur et lui donna la parole. Soudain les flots émus de l’assemblée s’apaisèrent ; il se fit un profond silence ; lord John Russel se leva.

Lord John Russel, le troisième des fils du duc de Bedford, est un tout petit homme qui n’aurait pas, je crois, cinq pieds de vos mesures ; son exiguité le rajeunit presque : on ne lui donnerait pas volontiers les quarante-cinq ans qu’il a ; une tête large par le front, mince par le menton, formant un peu le triangle ; des cheveux châtains, courts et clair-semés, de grands yeux surmontés de sourcils bien arqués, un visage pâle, calme, doux et flegmatique, où perce une arrière-finesse, voilà ce qui frappe en son air ; sa façon de dire est parfaitement d’accord avec son extérieur modeste et paisible ; sa voix est faible et monotone, mais distincte ; tandis qu’il parle, son corps ne s’anime guère plus que son discours ; toute son action consiste à glisser sur son dos sa main gauche, pour aller saisir le coude de son bras droit, et à se balancer indéfiniment dans cette attitude.

Lord John Russel s’exprime simplement et sans effort ; sa phrase est froide et sèche, mais claire et concise. Écrivain plus serré qu’élégant, il apporte dans ses improvisations ses habitudes de style écrit ; il n’a rien de la volubilité fatigante de notre ministre de l’intérieur ; il ne dit que ce qu’il est nécessaire de dire, et il dit tout ce qu’il veut dire ; son sarcasme, bien que glacé, n’en est pas moins incisif. La lame du poignard n’a pas besoin d’être rougie au feu pour blesser profondément ; il n’a point ces étincelles soudaines qui électrisent et embrasent une assemblée ; il a cette lueur paisible et constante qui la guide et l’éclaire. C’est un esprit sérieux plein d’idées applicables, résumées et résolues.

En moins d’une heure, le ministre eut déroulé tout le plan de son bill, et nettement exposé ses motifs et ses détails, non sans avoir décoché de bons traits acérés contre l’influence corruptrice des tories sur la constitution municipale dont il demandait la réforme.

Aussitôt lord John Russel assis, et au milieu des murmures divers