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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

comme si l’on disait : « Que l’observation mette toute son observation à observer le genre humain. Supprimez le premier vers, le second,


Survey mankind from China to Peru


signifie tout autant que les deux ensemble.

Wordsworth est plus sévère peut-être avec les écrivains en prose. Il s’emporte contre l’aridité des raisonneurs et des annalistes ; il accuse leur manque de passion ; il est jaloux des déclamations de la rhétorique et des rapsodistes comme si elles empiétaient sur le domaine poétique. Il condamne en bloc tous les auteurs français ; le nombre de ceux qu’il épargne parmi les nôtres est en vérité bien restreint. Il loue, par exemple, Walton, Paley, et quelques autres écrivains inoffensifs et sans prétention. Les voyages et les aventures de Robinson Crusoë lui plaisent par-dessus tout. En fait d’objets d’art, il admire singulièrement les gravures sur bois de Bewick et les eaux-fortes de Waterloo. Il a ses peintres aussi, qu’il sait comprendre avec intelligence et dignement exalter. Nous l’avons entendu parler en enthousiaste des belles compositions de Nicolas Poussin. Il montrait merveilleusement leur vigoureuse unité de dessin, l’ame supérieure qui préside à leur ensemble, le principe d’imagination qui concentre en un seul point tous leurs effets divers. Tout paysage, déclarait-il alors, était nul à ses yeux, qui n’exprimait pas l’heure du jour, le climat, l’époque qu’il prétendait représenter. S’il ne réunissait pas tous ces caractères, il était moins qu’incomplet, il n’existait pas. — C’est raison que Wordsworth rende pleine justice aux puissantes créations de Rembrandt. On sait comment cet artiste fait d’un rien quelque chose, comment il transforme un tronc d’arbre, comment il idéalise une figure vulgaire, à les illuminer soudainement au fond des ténèbres. Notre poète devait saisir l’analogie qu’il y a entre ce procédé et le sien, car son grand art à lui consiste de même à éclairer de toute la lumière du sentiment quelque humble détail caché de la nature. Or, lorsqu’il proclame le génie de Rembrandt, il sait bien qu’il plaide en quelque sorte pour son propre avènement. On avait dit de Wordsworth qu’il haïssait la Conquologie, qu’il ne pouvait souffrir la Vénus de Médicis. Ce n’était là pour lui sans doute que jeu de mot et innocente satire, plaisanteries accouplées au hasard,


Where one for sense and one for rhyme,
Is quite sufficient at one time.


Toutefois, c’est notre avis, Wordsworth eût-il été critique plus