Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
364
REVUE DES DEUX MONDES.

de salle en salle, un peintre anglais bien célèbre pour la vérité intime et le profond sentiment de ses ouvrages, qui ont touché le cœur des rois, et n’en sont pas moins chers au simple laboureur[1]. Vous pensez que dans cette visite on n’avait pas oublié le dernier Souper de notre Seigneur, cette noble peinture qui décore toujours le réfectoire des frères, aussi belle, aussi animée que lorsqu’elle y fut placée sortant des mains du Titien. Or, tandis qu’ils contemplaient l’un et l’autre le chef-d’œuvre, le vieux moine murmura ces mots à l’oreille de l’étranger : — « C’est ici que nous venons nous asseoir chaque jour et remercier Dieu du pain quotidien qu’il nous donne ; c’est ici que nous méditons sur le trouble de ces temps inquiets ; c’est ici que je songe à mes frères morts ou dispersés, à ceux qui changent ou qui ont changé ! Je regarde bien souvent la solennelle assemblée de ce tableau que le choc d’aucune circonstance, ni le cours des ans n’ont pu faire bouger de place ; et alors je ne puis m’empêcher de croire que ces figures peintes sont les vrais convives, — la substance, — et que nous ne sommes que les ombres.

« C’est ainsi que parla le grave hiéronymite, et le sentiment de ses peines s’était évanoui en lui comme un rêve, avant qu’il eût cessé de regarder la sainte toile, avant qu’il eût cessé de parler peut-être. Et moi qui ai vieilli aussi, mais en un pays plus heureux, ô portrait domestique ! c’est sous ton calme regard que j’ai traduit en vers ces paroles touchantes du prêtre, paroles plus capables de tranquilliser le cœur que de l’agiter ; douces paroles dont l’esprit, pareil à l’ange qui descendit dans l’étang de Bethesda, apaiserait en notre ame la source que la visite céleste aurait troublée. — Mais pourquoi cette larme qui s’échappe de mes yeux ? — Non, ce n’est pas avec douleur qu’ils s’attachent sur toi, ô mon muet compagnon ! Adieu, toi qui as inspiré mon chant ! Adieu encore ! »

Je ne sais trop si l’on a bien été fondé à blâmer si rudement chez Wordsworth ses opinions littéraires, exclusives, rigoureuses peut-être, mais qu’il n’a guère confiées qu’aux rares amis qui l’ont visité dans sa solitude. À coup sûr, on n’a point l’âme étroite et envieuse, on ne nie point les gloires contemporaines quand on a écrit le poème d’Yarrow Revisited, lorsqu’on a salué le départ de Walter Scott pour Naples par des adieux comme ceux-ci :

« Ce ne sont ni les nuages, ni les larmes de la pluie, ni les rayons pathétiques du soleil couchant qui ont formé l’orage que j’entends gron-

  1. Wilkie.