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ÉRASME.

tout : ce mot comprenait tout le reste. Il y avait hérésie à n’être pas de l’avis de Scot, hérésie à contredire saint Thomas, hérésie à nier l’excellence de la scolastique, hérésie à écrire dans une latinité littéraire, le bon latin étant nécessairement hérétique. C’est du moins ce que répondit un jour à un magistrat qui était venu lui soumettre d’humbles doutes, un de ces prêcheurs fanatiques, évêque bouffon, comme l’appelle Érasme : « Où est donc l’hérésie dans les livres d’Érasme ? » demandait le magistrat. — « Je ne les ai pas lus, dit le prélat ; j’ai seulement jeté les yeux sur ses paraphrases, mais la latinité en était trop haute pour ne m’être pas suspecte. Qui peut dire qu’il n’y ait pas quelque hérésie cachée sous un latin que je n’entends point[1] ? »

Ces moines et ces théologiens, tout sales, ignorans, avinés, obèses, déclamateurs, qu’Érasme nous les représente, ne manquaient pourtant pas de cet instinct de défense qui consiste à prêter les mêmes projets à des ennemis diversement intentionnés, soit pour aigrir les moins hostiles, et par suite les compromettre, soit pour amener les modérés et les violens à se voir de près, dans un rapprochement monstrueux, et à se séparer avec plus d’éclat. C’était dans l’un de ces desseins, peut-être dans tous les deux à la fois, que les habiles d’entre les moines et des théologastres confondaient dans le même anathème Érasme et Luther, encore qu’ils eussent parfaitement apprécié en quoi différaient ces deux hommes. Érasme était avant tout philologue, et incidemment réformateur doux et mitigé. Luther, tout au rebours, était, au principal, réformateur ardent, et n’avait de lettres qu’autant qu’il croyait convenable d’en avoir pour rattacher les lettrés à sa cause. Érasme s’adressait aux intelligences, Luther aux passions. Érasme ne voulait pas que la foule intervînt dans les débats religieux, mais que tout se passât entre les beaux esprits et la théologie : il voyait de grands dangers pour la foi dans cette intervention populaire ; et, pour la confession en particulier, il la jugeait gravement menacée, si on touchait à de telles matières en présence de la foule, « où il n’y a que trop de gens[2], remarque-t-il, à qui il

  1. Lettres, 580. B. C.
  2. 515. F.