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premier abord une pitoyable idée des artistes du pays. Ce sont des ouvrages d’enfance, les premiers que leurs auteurs aient signés. Gardez-vous bien de les juger sur ces pièces !

On ne trouvera du grand Rembrandt que cinq tableaux au musée de La Haye, à savoir deux portraits, une Suzanne au bain, Siméon recevant l’enfant Jésus au temple, et la fameuse Leçon d’anatomie.

Excepté le Jésus au temple, tous sont dans la première manière de ce maître, alors qu’il n’avait pas encore acquis cette hardiesse de composition et cette sublime extravagance de couleur auxquelles il s’abandonna plus tard avec une espèce de rage que lui-même il ne pouvait réprimer. La Leçon d’anatomie est pourtant l’une de ses plus belles pages, quoiqu’elle n’ait pas toute cette magie d’ombres et de lumières qui fait le trait caractéristique et l’originalité de Rembrandt. Cela se rapproche un peu de la sagesse raisonnée de Van der Helst, quoique d’ailleurs beaucoup plus largement peint. Les chairs flasques de ce cadavre étalé là sur une table contrastent d’une façon sublime avec les visages des élèves et du professeur, si pleins de vie et de santé, qu’on croirait entendre le bruit de la respiration dans leurs larges poitrines. L’effet n’y est pas cherché, il se produit de lui-même, simple, naturel. La lumière vient droit et sans réfraction sur la face des personnages. Les étoffes sont noires, légèrement reflétées. Rien ne distrait du sujet principal, rien ne chatoie à l’œil. On peut considérer ce tableau comme le chef-d’œuvre de la première manière du peintre. Nous lui opposerons tout-à-l’heure, en parcourant le musée d’Amsterdam, la fameuse Ronde de nuit, autre chef-d’œuvre du même maître, conçu dans un système bien différent.

Le musée de La Haye possède trois tableaux de Paul Potter, parmi lesquels le plus célèbre et le plus admirable de cet artiste, celui qui nous montre un taureau de proportion naturelle au milieu d’une prairie. Qui n’a pas vu les peintures de Paul Potter ne peut comprendre toute la profondeur et l’inspiration de cette simple et grandiose façon d’exprimer la nature. Il y a souvent plus de force dans le repos que dans les agitations les plus outrées. Le Jupiter Olympien des Grecs était représenté dans l’attitude du calme le plus parfait. Paul Potter sera toujours le modèle inimitable des peintres d’animaux. Il a porté ce genre à la hauteur des genres d’expres-