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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/454

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REVUE DES DEUX MONDES.

a dévastées et récrépies pour en faire un lieu digne de la croyance qu’il y prêche.

Concevez-vous la position d’un sculpteur en Hollande, au milieu de ces villes de briques et de cette population de protestans ? Il en existe un cependant, le seul que j’aie pu y découvrir ; on l’y conserve comme une rareté chinoise ou japonaise ; il s’en faut de peu qu’on ne mette une étiquette sur sa maison, et qu’on ne l’enferme dans une cage de verre. Ce sculpteur est un Belge nommé Royer, que j’avais connu autrefois à Rome, lorsqu’il achevait ses études. Ce Belge habite La Haye, et il n’a pour toute compagnie, dans son profond isolement, que les plâtres moulés qu’il a rapportés de ses voyages. La famille royale fait tout ce qu’elle peut pour lui donner du travail ; tantôt c’est une statue dont le roi fait présent à une ville ou à un musée ; tantôt un buste du prince d’Orange, ou d’une princesse ; tantôt une esquisse, tantôt une copie de l’antique. Quelques amiraux ou des gouverneurs revenus des Indes lui apportent parfois leur tête vénérable à modeler, et presque tous encore reculent devant la dépense d’un marbre. Il y a peu d’années, un grand poète hollandais vint à mourir ; Royer moula son visage, et d’après l’empreinte, il modela un buste admirable d’expression, Eh bien ! le croirait-on ? l’académie d’Amsterdam, la ville natale de ce poète appelé Bilderdyck refusa de commander au sculpteur une reproduction qui pût éterniser la mémoire de son plus illustre écrivain. La même académie ne voulut point consentir à ce qu’une statue de sept pieds et demi, exécutée par Royer, fût admise à la dernière exposition, de peur (ce sont les termes exprès du rejet) que l’introduction du bloc n’endommageât l’escalier du musée. Et la statue, encore enveloppée de sa caisse de sapin, fut renvoyée par les barques au sculpteur. Ce n’est pas de l’artiste que je tiens le fait dont je garantis pourtant l’exactitude : il eût eu sans doute trop à rougir d’un tel aveu. Ce malheureux sculpteur regrette bien sincèrement ses beaux modèles romains et le ciel inspirateur qui vit naître tant de chefs-d’œuvre ; sans la reconnaissance qu’il porte aux augustes personnages dont les encouragemens soutinrent son talent oublié, il aurait déjà quitté ce sol inclément pour aller revoir son soleil et ses marbres d’Italie.

Il résulte de ce que j’ai dit, que la peinture est à peu près le seul