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REVUE DES DEUX MONDES.

Qui s’étaient à mes pieds de bien loin rassemblés,
Se mirent à bondir sur les gazons mouillés,
Et secouant dans l’air leur crête rouge et bleue,
Et les clochettes d’or qui pendaient à leur queue
Crièrent aussitôt en leurs convulsions :
C’est Marthe ! la voilà, nous la reconnaissons.
Salut ! Marthe, salut ! tante de la vipère,
Salut ! fille d’amour de Satan, notre père.

Pourtant loin de la foule, et du rire et des bruits,
Sur une terre humide et qui bordait le puits,
Croissait dans le gazon une fleur isolée,
Une charmante fleur qui passait sa veillée
À causer simplement avec un doux rayon,
Qui semblait lui parler de végétation
Plus encor que d’amour et de ces choses vaines
Dont la lune entretient les belles fleurs des plaines.
Or, la vierge écoutait avec humilité
Le chaste gardien assis à son côté,
Et ce qu’il lui disait du vent et de la pluie ;
Et prête à s’endormir sous l’herbe épanouie,
Elle semblait attendre, avant de se ployer,
Que le petit rayon eût rejoint son foyer.
Ô Rembrandt ! ô Durer ! peintres des cathédrales,
Vous avez fait des saints à genoux sur les dalles,
Dans leurs chasubles d’or enfermés et priant
Sous un rayon de feu qui leur vient d’Orient ;
Des saints canonisés, qui, dans l’extase ardente,
Ont une piété moins douce et moins touchante,
Et dont les blonds cheveux, entourés de clarté,
Répandent moins l’odeur de la virginité,
Que cette douce fleur si naïve et si blanche,
Qui, sans savoir si c’est jour de fête ou dimanche,
Et se laissant aller au penchant naturel,
D’un œil mélancolique interroge le ciel.»