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laderas lisses et verticales, la teinte monotone de l’hiver couvrait toute l’étendue de ce défilé, qui monte, monte toujours, revêtu d’abord de deux ou trois pieds de neige, et se prolongeant jusqu’à ces glaciers effrayans qu’un soleil terne et pâle semble polir encore. On ôta les charges des mules ; tout cela fut entassé sur le bord de la rivière ; le postillon, sans attendre davantage, rassembla sa tropilla, fit retentir les échos du claquement de son fouet, et prit congé de nous ; les animaux fatigués se roulèrent sur le sable, broutèrent à la course quelques poignées d’herbe verte, et disparurent au grand trot à travers ces sentiers tortueux et difficiles où nous les suivîmes long-temps du regard.

Quand on nous eut retiré, pour ainsi dire, les seuls moyens de communiquer avec les habitations, ces mules patientes et fortes dont le pas soutenu égaie l’âpre solitude des montagnes, je compris alors toute l’étendue de notre isolement, et combien de fatigues devraient être endurées avant d’arriver au port : ces bagages, ces provisions, qui à eux seuls faisaient la charge de huit mules, il fallait les répartir entre nous six, et porter tout cela sur nos épaules jusqu’aux portes du Chili.

Je levais les yeux vers ces montagnes si hautes, si menaçantes, où le regard le plus perçant n’aurait pu découvrir un sentier battu. Dans la belle saison, toutes ces routes sont libres ; les voyageurs, réunis en caravanes, franchissent à cheval, dans l’espace de quatre jours, la triple chaîne des Andes : c’est une partie de plaisir ; des vivres abondans, un climat tempéré, à peine de loin en loin un passage difficile, et des troupes d’arrieros qui se rencontrent là comme des personnages placés exprès pour animer un paysage trop sévère ; mais quand la Cordillère est fermée, quand on est réduit à de maigres provisions de viande sèche, quand on porte soi-même la bride et la selle, qu’on s’est fait bête de somme, et qu’un froid excessif vient redoubler ces misères, oh ! alors, la position n’est plus la même ; il y a toute la différence d’une promenade à un trajet pénible et dangereux.

Chacun prit la charge qui lui revenait, et on distribua les peaux de moutons pour en faire des tamangos, sorte de chaussures taillées en forme de bottes, le poil en dedans, passant sous le pied et liées au-dessous du genou ; on recouvre le tout d’une espèce