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PASSAGE DES ANDES.

dre. Pour cela, on s’assied sur le pellon de sa selle, et on se laisse couler avec une effrayante rapidité, poussant sa charge devant soi. En quelques minutes cette course précipitée nous avait replongés dans le brouillard, et la densité de l’atmosphère rendait plus pittoresque encore l’effet prodigieux de ces montagnes russes ; mais la brume s’épaissit au point qu’il était impossible, même aux guides, de reconnaître la route.

La casucha située à mi-côte était presque entièrement cachée sous la neige ; il en était tombé une incroyable quantité depuis trois mois ; dans certains endroits elle s’élevait de douze à quinze pieds ; nous fûmes à même d’en juger, lorsque, ayant découvert une source abritée sous un roc, et à fleur de terre pendant la belle saison, le guide qui y descendit pour puiser de l’eau, ne put atteindre le fond de ce puits qu’en pratiquant un escalier.

Le côté de la Cordillère est moins âpre peut-être ; on rencontre plus rarement de ces roches pointues semblables aux ruines d’un vieux donjon, sur lesquelles le condor reste immobile des jours entiers, comme le génie du mal contemplant cette vaste scène d’effroi. Mais aussi la teinte uniforme de la neige, augmentée encore par le brouillard, faisait cruellement souffrir nos malades ; les aveugles ne pouvaient ni regarder, ni fermer les yeux. Nous marchions sur une surface assez unie et assez solide pour faire regretter de n’avoir pas de patins. Quand tout cela se met à fondre, les montagnes doivent être inondées ; des torrens se précipitent de toutes les anfractuosités, et ces eaux s’en vont, en écumant, se perdre dans l’Océan pacifique. Ainsi, de chaque versant la nature a fait jaillir une source abondante, se creusant un lit encaissé, comme un canal par lequel ces eaux précieuses se répandent dans les vallées ; puis, divisées de toutes parts au moyen des acequias empruntées par les Espagnols aux Maures de Grenade, elles arrosent et fertilisent les campagnes de Mendoza à l’ouest, celles du Chili à l’est.

Une autre casucha ruinée s’élevait à quelques centaines de pas sur la gauche ; j’eus la curiosité d’aller la voir. Le toit en était défoncé ; des renards s’étaient creusé des terriers dans la neige qui l’envahissait à moitié ; de petits oiseaux s’étaient blottis sous les briques.