Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/507

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
499
REVUE. — CHRONIQUE.

mes, seront punis de 10,000 à 50,000 francs d’amende, de la détention, et le gérant déchu de son titre, c’est-à-dire de sa propriété.

Ce n’est pas tout ; la majorité du jury nécessaire pour condamner est abaissée de huit voix à sept voix. Mais le confident d’un ministre, M. Madier-Montjau, l’a dit hier à la chambre : « L’institution du jury soumet la société à une véritable loterie judiciaire. » On peut s’en fier au ministère doctrinaire, il ne s’arrêtera pas à cette première attaque contre le jury.

L’écrivain, le gérant, jugés par un code exceptionnel, cités devant un tribunal exceptionnel (car pour les délits de la presse, tout autre tribunal que celui du jury est un tribunal exceptionnel), auront aussi une prison exceptionnelle que créent les nouvelles lois. M. Persil a introduit, pour la première fois, dans une loi civile, le mot de forteresse. N’osant encore traîner les écrivains devant des conseils de guerre, on leur réserve des forteresses, et des forteresses hors de la terre-ferme. M. Persil n’en a pas fait mystère à la chambre. La forteresse destinée aux écrivains s’élèvera à Pondichéry. Ainsi la déportation sous un climat brillant ne lui suffisait pas ; l’emprisonnement aggravera encore la peine ; le carcere duro du régime autrichien, voilà ce qui attend la presse affranchie par la révolution de 1830, par la charte-vérité.

Cette Charte avait dit d’une manière formelle et absolue : « La censure ne pourra jamais être rétablie. » La censure est rétablie pour les théâtres.

La censure s’étendra aussi sur les dessins, les gravures et les lithographies. On frappe l’art tout entier, on le dégrade, pour atteindre quelques misérables caricatures. Le principe de la censure rétabli, il n’y a plus qu’un pas à franchir pour frapper la liberté de la presse ; le ministère doctrinaire est trop prévoyant pour n’avoir pas vu où tendait cette disposition de sa loi.

Enfin, la loi invente un crime nouveau ; c’est celui des souscriptions ouvertes pour payer les amendes infligées en raison de délits politiques. Elle établit le principe et la nécessité de la dénonciation pour le gérant ; elle confisque sa propriété après un seul délit. Ce projet de loi a été qualifié de sauvage ; dans quelques années en effet, on doutera qu’il ait été présenté à l’approbation d’un peuple civilisé. Il ne manque plus à cette loi qu’une disposition : c’est celle de la loi du 12 mai 1717, promulguée sous la régence du duc d’Orléans, qui ajoutait la peine du carcan à toutes celles qu’on infligeait alors aux écrivains.

Ces deux projets de loi ont au moins un mérite ; ils font une guerre à mort à la presse : ils vont droit à la liberté de la pensée : c’est la vieille lutte de la raison et du pouvoir, de la force et de l’intelligence, qui se renouvelle avec plus de véhémence que jamais. On nous rend l’ancienne loi romaine du bas-empire, de regia majestate, ou si l’on aime mieux la législation terroriste de l’Angleterre au xviie siècle, qui défendait, sous peine de mort, aux jacobites, de boire à la santé du prétendant, et aux puritains de prononcer le nom du vieux Noll. Tout est violé à la fois, et la Charte, et les notions du droit, et celles de l’humanité.