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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/550

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REVUE DES DEUX MONDES.

chapitres clairs et substantiels, là semés d’exemples qui servaient à faire comprendre et retenir le précepte, intéressaient l’imagination des jeunes gens en formant leur raison. Érasme avait le secret de la propagation des œuvres de l’esprit ; il savait faire des livres à la fois agréables et utiles. Il avait, pour ne pas le mettre trop haut, l’instinct d’une chose dont Voltaire eut le génie.

Par une autre vue, non moins élevée, et qui, encore aujourd’hui pourrait bien n’être pas sans à-propos, en même temps qu’il écrivait des traités pour l’instruction des jeunes gens, il traçait des plans d’éducation[1] et traduisait pour eux les beaux ouvrages de la morale antique[2]. Ce n’est pas un mérite que je prête gratuitement à Érasme, car dans une sorte de préface écrite en 1524, où il donne la classification de ses œuvres, pour une édition générale, il divise ses écrits littéraires en deux catégories, l’une comprenant les ouvrages d’enseignement, l’autre les ouvrages d’éducation. Son petit traité de la Civilité des mœurs des enfans, qui fut composé pour Henri de Bourgogne, fils du prince de Wère, est un livre plein de grâce et de raison, où ceux qui font des spéculations sur ces matières, seraient bien surpris de trouver des vues qu’on croit d’hier, et qui dorment là depuis trois siècles, parce qu’une langue morte tue les idées qu’on l’a forcée d’exprimer.

L’ouvrage capital d’Érasme, pour sa gloire et pour l’influence qu’il eut sur la direction des études, ce furent les Adages. Beaucoup de ceux qui me font l’honneur de me lire ignorent ce que c’est que ce livre, et ont peut-être raison de l’ignorer ; car quelle idée actuelle, vivante, forte, remonte visiblement aux Adages ? Qui peut nous attirer vers ce grand lambeau mort d’un homme de génie qui n’est plus qu’un nom ? Moi-même, je n’ai lu les Adages que comme l’avocat qui lit un dossier, c’est-à-dire pour le besoin de la cause. C’est pourtant un livre qui illumina un moment (le mot n’est point forcé) la fin du xve siècle

  1. Pueros ad victutem et litteras liberaliter instituendos, idque protinus a nativitate, declamatio.
  2. Traduction des traités de morale de Plutarque.