Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
552
REVUE DES DEUX MONDES.

que le musicien vit d’accord, de sympathie et d’union avec ses élèves et ses exécutans. La musique s’enseigne, se révèle, se répand, se communique. L’harmonie des sons n’exige-t-elle pas celle des volontés et des sentimens ? Quelle superbe république réalisent cent instrumentistes réunis par un même esprit d’ordre et d’amour pour exécuter la symphonie d’un grand maître ! Quand l’ame de Beethoven plane sur ce chœur sacré, quelle fervente prière s’élève vers le dieu ! Et quand vous unissiez, ce printemps dernier, votre magique langage à l’alto d’Urhan et à la contrebasse de Batta, quels cieux impitoyables ne se seraient pas ouverts pour laisser monter ce trio sublime !

Oui, la musique, c’est la prière, c’est la foi, c’est l’amitié, c’est l’association par excellence. Là où vous serez seulement trois réunis en mon nom, disait le Christ aux apôtres en les quittant, vous pouvez compter que j’y serai avec vous. Les apôtres, condamnés à voyager, à travailler et à souffrir, furent bientôt dispersés. Mais lorsqu’entre la prison et le martyre, entre les fers de Caïphe et les pierres de la synagogue, ils venaient à se rencontrer, ils s’agenouillaient ensemble sur le bord du chemin, dans quelque bois d’oliviers, ou vers le faubourg de quelque ville, dans une chambre haute, et ils s’entretenaient en commun du maître et de l’ami Jésus, du frère et du Dieu au culte duquel ils avaient voué leur vie ; puis, quand chacun à son tour avait parlé, le besoin d’invoquer tous à la fois les mânes du bien-aimé leur inspirait sans doute la pensée de chanter ; et sans doute aussi, le Saint-Esprit qui descendit sur eux en langues de feu, et qui leur révélait les choses inconnues, leur avait fait don de cette langue sacrée qui n’appartient qu’aux organisations élues. Oh ! soyez-en sûr, s’il exista des êtres assez grands devant Dieu pour mériter d’acquérir subitement des facultés nouvelles, si leur intelligence s’ouvrit, si leur langue se délia, des chants divins durent découler de leurs lèvres, et le premier concert d’harmonie dut frapper les oreilles ravies des hommes.

C’est un fait unique dans l’histoire du genre humain, et devant lequel je ne puis m’empêcher de me prosterner, quand j’y songe, que cette retraite des douze pendant quarante jours, que cette union fervente et cette pureté sans tache de douze ames croyantes