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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

de vos souvenirs à des hommes d’exception, vous serez frappé de la vérité de ses décisions. Ces caractères étant tranchés et hardiment dessinés par la nature, vous y verrez des exemples éclatans, appréciables au premier coup d’œil. Il n’en sera pas de même pour les sujets médiocres. Leurs petites vertus et leurs petits vices seront mollement accusés sur des visages insignifians. Leur médiocrité résulte d’un ensemble de facultés vulgaires dont pas une n’est l’intelligence, pas une l’idiotisme. Diverses doses d’aptitudes, dont pas une n’envahit précisément les autres, donnent au visage plusieurs expressions dont pas une n’est la principale et la dominante. Comment prononcer sur de telles physionomies, à moins d’une habileté et d’une patience excessives ? Cependant le bon Lavater qui ne dédaigne rien, et qui prend plaisir à relever et à encourager tout bon instinct, quelque peu développé qu’il soit, nous fait lire de force, sur ces visages sans attrait, la finesse, l’esprit d’ordre, le bon sens, la mémoire ; s’il n’y trouve pas ces qualités, il y trouve à estimer la candeur, la douceur, la probité. Un mendiant lui tend un jour la main : Combien vous faut-il, mon ami ? s’écrie le physionomiste frappé de l’honnêteté qu’exprime ce visage. — Je voudrais bien avoir neuf sous, répond le bonhomme. — Les voici, reprend le physionomiste ; pourquoi ne m’en demandez-vous pas davantage ? je vous donnerai tout ce que vous me demanderez. — Je vous assure, monsieur, dit le pauvre, que j’ai là tout ce qu’il me faut.

On amène devant Lavater un garçon et une jeune fille : l’une qui demande du pain pour le fruit de ses amours avec le jeune homme, l’autre qui accuse la jeune fille d’être une débauchée et une trompeuse. Celui-ci émeut tout son auditoire par une assurance extraordinaire et toutes les apparences d’une vertueuse indignation ; l’autre est troublée, elle ne sait que pleurer et demander à Dieu de faire connaître la vérité. Lavater est incertain ; il les examine attentivement et prononce en faveur de la jeune fille. Bientôt, après avoir satisfait à la loi, le jeune homme avoue ses torts. Lavater raconte cette aventure d’une manière touchante, et qui rappelle les drames à sentiment de Kotzebüe.

La grande différence entre les observations de Gall et celles de Lavater, en ce qui concerne la phrénologie, c’est que l’un