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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/583

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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

dirai qu’une figure plus maigre, plus mâle et plus âgée que celle de votre meilleur ami, mais empreinte d’une ressemblance linéaire très frappante, est accompagnée de cette analyse. Vous jugerez mieux que moi de la ressemblance morale. Quant à moi, je m’abstiens de prononcer, votre meilleur ami étant l’individu que j’ai pu juger avec le moins d’impartialité, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise fortune. — Le portrait est celui d’un peintre médiocre, Henri Fuessli.

« Il nous faut caractériser cette physionomie, et nous en dirons bien des choses. La courbe que décrit le profil dans son ensemble est déjà des plus remarquables ; elle indique un caractère énergique qui ne connaît point d’entraves. Le front, par ses contours et sa position, convient plus au poète qu’au penseur ; j’y découvre plus de force que de douceur, le feu de l’imagination plutôt que le sang-froid de la raison. Le nez semble être le siége d’un esprit hardi. La bouche promet un esprit d’application et de précision ; et cependant il en coûte à cet artiste de mettre la dernière main à son œuvre. Sa grande vivacité l’emporte sur la mesure d’attention et d’exactitude dont le doua la nature, et qu’on reconnaît encore dans les détails de ses ouvrages. Quelquefois même on y trouve des endroits d’un fini recherché, qui contrastent singulièrement avec la négligence de l’ensemble.

« On pourra se douter aisément qu’il est sujet à des mouvemens impétueux. Mais dira-t-on qu’il aime avec tendresse, avec chaleur, avec excès ? — Rien n’est pourtant plus vrai, quoique d’un autre côté son amour ait toujours besoin d’être réveillé par la présence de l’objet aimé ; absent, il l’oublie, et ne s’en met plus en peine. La personne qu’il chérit pourra le mener comme un enfant tant qu’elle restera près de lui. Si elle le quitte, elle peut compter sur toute son indifférence. Il a besoin d’être frappé pour être entraîné ; quoique capable des plus grandes actions, la moindre complaisance lui coûte. Son imagination vise toujours au sublime, et se plaît aux prodiges. Le sanctuaire des grâces ne lui est pas fermé ; mais il n’aime point à leur sacrifier. On remarque dans les principales figures de ses tableaux une sorte de tension qui, à la vérité, n’est pas commune, mais qu’il pousse souvent jusqu’à l’exagération, aux dépens de la raison. Personne n’aime avec plus