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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/62

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REVUE DES DEUX MONDES.

notre prose flasque et concassée, nous entendons encore l’accent biblique du vers breton, nous entrevoyons l’original à travers notre pâle traduction, et la phrase française nous frappe comme ferait une note, insignifiante pour tout autre, mais qui, à nous, nous rappellerait un chant de nourrice, ou quelque fatale romance rattachée à d’amers souvenirs. Malheureusement, ce charme mystérieux n’existe que pour nous seul. Notre traduction ne rappelle rien à la plupart de nos lecteurs, elle ne leur reflète pas toute une nature spéciale et aimée, tous les usages, toute la foi, toutes les attitudes d’un peuple fraternel ; elle ne leur apporte point, comme à nous, ce parfum d’ajoncs en fleurs et de blé noir, ni ce tintement des cloches de village, ni ces bruissemens de la marée sur nos grèves, ni ces modulations mélancoliques des trompes d’avoine de nos pâtres, sur les montagnes bleues du pays. Si nos études sur les poésies celtiques ont éveillé quelque intérêt, nous devons l’attribuer au mouvement de curiosité et de surprise qu’a dû exciter, au premier moment, une littérature aussi inconnue, aussi singulière et aussi touchante ; mais ce sentiment, nous craignons qu’il ne soit déjà épuisé, et que notre Bretagne ne produise l’effet de ces enfans présentés par leurs parens à des étrangers, et qui, après les voir amusés un instant par leurs gracieux caprices, les fatiguent bientôt.

Cependant nous avons à cœur de compléter ce que nous avons dit du drame breton, et la tragédie de Sainte Triffine diffère si essentiellement de celles que nous avons déjà analysées, elle est si spéciale par son sujet et par son exécution, si supérieure de style et de logique, qu’il nous a semblé impossible de la passer sous silence.

Jusqu’ici on n’a vu, dans le drame celtique, que l’expression âpre et dure de la passion. Saint Guillaume et les Quatre fils d’Aymon sont deux inspirations sauvages où les sentimens suaves n’apparaissent que par accident, comme un rayon de soleil dans un ciel d’hiver. Ce qui fait le fond de ces deux compositions, c’est une sorte de rusticité fauve, mêlée aux élans énergiques d’une piété sincère à faire peur. Après ces pièces, il restait à traiter l’aspect sentimental des affections humaines, à formuler l’expression élégiaque de la passion, dans un cœur à plus molle épiderme que celui du comte de Poitou et de Renaud. Les âmes humaines ont deux sexes comme les corps ; les tragédies bretonnes ne nous en avaient encore montré que de mâles et de fortes, l’âme féminine restait à peindre : c’est elle que l’auteur de Sainte Triffine s’est efforcé de révéler dans son œuvre.

Avez-vous trouvé quelquefois, dans votre vie, une de ces femmes pieuses qui passent leurs jours entre un mari égoïste, des enfans malades, et