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lus et plus puissans que Napoléon, et cela sans la guerre ! » Qu’on nous dise si M. Thiers et ses complices ne se sont pas mis de toutes leurs forces à remplir cette tâche ? Trois articles de la charte-vérité n’ont-ils pas été rayés de leurs mains ? La confiscation abolie à jamais, disait cette charte, n’a-t-elle pas été rétablie par la loi nouvelle ? L’application invariable du jury aux délits de la presse, demandée si solennellement à la chambre des députés, par le lieutenant-général du royaume, n’a-t-elle pas été suspendue, ou pour dire plus vrai, supprimée par les ministres du roi des Français, et par la chambre des députés ? La censure, si formellement détruite, n’a-t-elle pas reparu de nouveau ? Et si quelques malheureux esprits crédules doutaient encore de l’avenir que nous préparent ces premiers pas dans la réaction, M. Guizot ne leur a-t-il pas déclaré hautement à la tribune que ces projets de loi dormaient dans son portefeuille depuis le mois de juillet 1830, se trompant en cela, il est vrai, car M. Guizot eût été plus exact et plus franc, s’il eût dit depuis le mois de juillet 1815 ? M. Persil, le garde-des-sceaux, c’est-à-dire le gardien officiel des lois et de la charte, n’a-t-il pas ratifié et achevé tout ce qu’il y avait de douteux et d’incomplet dans les paroles de M. Guizot, en ajoutant qu’on ne sortirait de la constitution que le jour où la nécessité voudrait qu’on en sortît, c’est-à-dire quand on le jugera convenable ? M. de Broglie a-t-il été moins obscur ? Contre sa coutume, son discours s’est trouvé un chef-d’œuvre de lucidité. D’ailleurs, M. de Broglie avait fourni, dès long-temps, le texte du discours de M. Persil. C’est M. de Broglie, en effet, qui proclamait, il y a deux ans, à la tribune, la souveraineté non pas de la raison, mais de la nécessité, doctrine qui justifie tout depuis les massacres de la Saint-Barthélemy jusqu’aux septembrisades de 1792 ; loi suprême et violente sous laquelle disparaissent toutes les autres lois, qui rend le devoir et la conscience illusoires, le serment inutile et les chartes superflues. En vérité, la France ne peut pas dire qu’on la trompe ; à moins d’être sourde et aveugle, elle doit savoir maintenant ce qu’on lui veut, et si elle donne ses libertés à fouler aux pieds de quelques démocrates apostats, elle n’ignore pas ce qu’elle fait, et quelle sorte de sacrifice elle consomme.

Supposons qu’un nouvel attentat, pareil à celui de Louvel ou de Fieschi, ait encore lieu aujourd’hui, (et qui peut prévoir, qui peut empêcher un fou ou un scélérat de concevoir un crime ?) que feront les ministres avec les doctrines qu’ils nous ont exposées ? La presse écrasée sous une monstrueuse fiscalité, entravée par des garanties presque impossibles à donner, gênée, bâillonnée par une pénalité effrayante