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REVUE. — CHRONIQUE.

dans la chambre des députés par la loi sur les associations, un orateur monta à la tribune pour constater que, d’une part, le christianisme était bien réellement mort ; que, de l’autre, la philosophie était impuissante à le remplacer ; enfin que nous nous débattions au sein d’une épouvantable anarchie morale ; et comme en pareilles circonstances le seul droit qui subsiste est le droit du plus fort, il dit à l’opposition : Vous avez infiniment d’esprit, vous êtes d’excellens citoyens ; Dieu me préserve de défendre le ministère ; mais je vote pour l’admission pure et simple de la loi la plus brutale et la plus odieusement spoliatrice de toute liberté individuelle qui ait jamais été présentée à une chambre française. La voix de l’orateur était calme, limpide, correcte ; son visage impassible. Cet orateur se nommait M. Jouffroy. M. Jouffroy a l’ame trop haut placée pour se faire remarquer parmi les furieux de modération, mais il n’a pas assez de générosité pour défendre la liberté. Dans sa vaste et sereine intelligence, il embrasse, il comprend, il explique chaque fait, chaque idée, chaque système ; il répand autour de lui des flots de lumière ; mais rien qui entraîne, rien qui échauffe ; il a été taillé tout d’une pièce dans les glaciers du Jura. Le dernier volume de M. Jouffroy contient l’examen de trois grands systèmes de morale : le système égoïste personnifié dans Bentham, le système sentimental dans Adam Smith, le système rationaliste dans Price. Avant d’exposer ses propres idées sur le droit naturel, le professeur a déblayé le sol sous ses pas. Malgré la justesse des critiques de détail adressées à Bentham, nous pensons que M. Jouffroy aurait dû traiter ce grand réformateur avec plus de ménagemens. Dire que le génie d’Épicure surpasse autant celui de Hobbes, que le génie de Hobbes surpasse celui de Bentham, c’est faire plus de cas de l’arrangement des mots que de l’esprit et des résultats d’une doctrine. Le bon sens et l’histoire sont là pour protester hautement. Les principes d’Épicure ont engendré la corruption des derniers siècles de Rome ; Hobbes conduit à un despotisme tellement sauvage qu’il est irréalisable. Bentham, au contraire, a toujours été l’apôtre de la liberté et de la tolérance. C’est ses livres à la main qu’en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, les cœurs les plus jeunes et les plus honnêtes attaquent les vieux abus ; c’est sous son invocation qu’est placé l’organe le plus imposant du radicalisme modéré, the Westminster review.

Notes d’un voyageur dans le midi de la France, par Prosper Mérimée. — Ces notes sont tout archéologiques, très précieuses et d’un haut intérêt. En présence de tant de ruines poétiques, en face des indestructibles vestiges de la puissance romaine et des magnifiques débris