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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/639

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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

Mais apparemment il n’est pas interdit d’examiner les intentions du législateur, les motifs qui l’ont porté à innover d’une si sévère façon. Si nous avons bonne mémoire, on nous a promis la liberté philosophique. On a même, en certain endroit où l’on exploite les débats politiques et littéraires, exhorté les écrivains à ne pas se laisser abattre, à ne pas abandonner la discussion et la plume. Bonté touchante !

Il y a dans la loi nouvelle qui réglemente aujourd’hui la presse, ou plutôt il y a dans la pensée du législateur qui l’a faite, deux intentions fort distinctes. On s’est proposé d’abord de réprimer et de punir sévèrement des écarts et des excès qui avaient soulevé le blâme public, comme, pour donner un exemple, les personnalités outrageantes dirigées contre le roi et les hommes politiques. Sur ce point, le législateur ne pouvait rencontrer une contradiction sérieuse. On pouvait discuter la mesure de la peine, mais la répression était de toutes parts estimée nécessaire.

Malheureusement, le législateur ne s’arrêta pas à ce devoir : une autre passion vint lui saisir le cœur ; c’est, il faut le dire, la haine et l’effroi de la pensée même, et la résolution de tenir en suspicion et en échec l’esprit humain lui-même.

Réagir contre les idées et leur marche, voilà la pensée intime de la loi nouvelle : entreprise funeste du législateur, dont nous sommes aujourd’hui les spectateurs et les victimes ; non que cette réaction contre l’intelligence ait été officiellement proclamée ; même en y travaillant, on a cru devoir encore s’en défendre ; mais elle est au fond des intentions et des choses.

Lisons les rapports prononcés dans les deux chambres ; lisons M. Sauzet, nous trouverons un commencement d’instruction contre l’esprit humain. Et M. Sauzet a d’autant mieux répondu aux intentions de ceux qui l’ont poussé, qu’il ne les a pas comprises. On étonnerait beaucoup M. Sauzet, nous en sommes certains, si on lui disait que dans les emportemens de sa phrase et de son zèle, il a forgé des entraves, non pas à la licence, mais à la liberté même de l’esprit humain, et que, grâce à lui, la spéculation philosophique et l’originalité littéraire peuvent, à toute heure, devenir des délits. M. Sauzet est innocent dans son cœur, puisque son esprit et ses yeux ne se sont pas assez ouverts. Mais quel dommage