Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/654

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
646
REVUE DES DEUX MONDES.

et reçoivent le sacrifice. La parole du père est loi pour la famille, celle des Quirites, qui participent au droit pontifical, est loi pour la cité ; l’une et l’autre sont exprimées dans une forme sacramentelle et avec une énergie rhythmique ; la ville elle-même est construite sur une base indestructible d’harmonie : Martia Roma triplex.

Le caractère religieux de cette église militante peut seul expliquer le génie rude et sombre du Romain. En ravageant le monde, en foulant aux pieds les lois de tous les peuples, en fermant son oreille et son cœur au cri de l’humanité, le légionnaire remplit une mission providentielle et fatale. Rome a des destinées écrites aux livres Sibyllins ; il faut qu’elles s’accomplissent per fas et nefas. Les dieux sont complices du crime, le crime dès-lors est sanctifié.

Dans les sociétés antiques, il règne une confusion si complète et si constante entre les lois divines et les lois humaines, entre les magistrats et les dieux, que la cité politique n’est qu’un reflet, qu’une émanation extérieure de l’invisible cité, de telle sorte que les deux natures montant et s’abaissant constamment l’une vers l’autre, s’absorbent dans une indivisible unité.

On comprend que les idées démocratiques, en attaquant la constitution de l’état, ébranlaient dès-lors, dans l’antiquité, tous les fondemens de la foi religieuse, de même que les idées rationalistes, en mettant en question les doctrines de la cosmogonie sacrée, sapaient, par cela seul, toutes les bases de l’ordre social. Ce n’était pas indirectement que s’exerçait cette double action ; elle était immédiate et forcée ; le démocrate était nécessairement incrédule, le croyant seul restait patriote.

César en passant le Rubicon, en profanant l’ager romanus par la présence de son armée, péchait contre les dieux autant que contre la patrie ; aussi César était-il le chef du parti démocratique et le premier entre les esprits forts ; et Caton, qui le lui reproche si amèrement en plein sénat, est conséquent avec lui-même, en honorant les dieux au milieu de la corruption générale, et en mourant à Utique pour ne pas survivre à la liberté romaine.

Dans le premier de ces hommes s’incarnent les doctrines rationalistes et démocratiques de l’antiquité, dans l’autre se maintiennent, sous une forme héroïque, les vieilles maximes du patriotisme et de la religion. Entre eux, et en manière de juste-milieu, je placerai volontiers Cicéron, honnête citoyen et faible caractère, dominé par les préoccupations de sa vanité oratoire et de ses études philosophiques, docteur d’académie qui commente la nature des dieux plutôt qu’il n’y croit ; homme politique, chez lequel l’amour-propre vient en aide aux convic-