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REVUE DES DEUX MONDES.


Semper ad eventum festinat, et, in medias res,
Non secus ac notas auditores rapit.


— Je ne sais pas le latin, maître, reprit Troadec ; mais la tragédie du Kernewote me fait l’effet de nos beaux airs du pays quand je les joue sur la bombarde. On ne pourrait y rien changer, ni s’arrêter en route ; c’est tout d’une pièce, comme la croix de Saint-Michel-en-Grève.

— La suite, la suite ! s’écria Abalen, avec une curiosité âpre et brusque. Le public parlera quand les acteurs auront fini.


Tanguy reprit.


Voici ce que l’on voit dans la sixième journée.


Kervoura est dans le désespoir, parce que sa sœur est rentrée en grâce près d’Arthur. Il envoie demander pardon à celui-ci, et il s’excuse, en disant qu’il avait été trompé lui-même. Le roi de Bretagne, après avoir balancé un peu, veut bien qu’il revienne à la cour. — « Il m’a fait du mal, dit-il, mais maintenant mon bonheur est si grand, que je voudrais que tout le monde fût heureux. Ce qui est passé est oublié. Dites-lui de venir. Il n’y a rien pour moi désormais en arrière dans la vie, rien au-delà des limites de mon intérieur si doux. » — Kervoura arrive à la cour, et s’excuse encore près d’Arthur. Il lui annonce que Triffine accouchera, dans trois mois, d’une fille. — « Vous verrez, dit-il, par la vérité de ma prédiction, si je mérite que l’on me croie. » — Cette prédiction s’accomplit en effet. Mais Kervoura est tourmenté nuit et jour par sa haine ; elle bat incessamment son cœur, comme une mer furieuse. Il est malade du bonheur de Triffine. Enfin, lassé de ses tortures, il s’endort un moment. Alors les démons paraissent et l’entourent. — « Il dort, dit Astarot, mais son esprit veille toujours dans les tourmens, je vais lui souffler un nouveau moyen de perdre Triffine. » — Il s’approche ensuite de son oreille, prononce quelques mots à voix basse, et quand le prince s’éveille, il s’écrie qu’il a trouvé le moyen de se venger, et il est tout joyeux de sa mauvaise pensée.

Cependant Triffine ne soupçonne rien. On vient lui dire que son frère veut lui parler, et qu’il la prie de venir le trouver dans un bois qui est peu éloigné du palais, parce qu’il a un secret à lui confier. La reine se rend à l’endroit indiqué ; mais des soldats qui ont été placés là par Kervoura l’entourent aussitôt, la prennent dans leurs bras et l’embrassent de force. Arthur, averti, arrive en ce moment. Il voit de loin la reine dans les bras des soldats, et, croyant que c’est de son consentement, il entre dans une grande colère et jure de punir son épouse infidèle.