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LE CAPITAINE RENAUD.

taine de s’appuyer toujours sur cette canne de jonc dont la pomme était assez singulière, et attirait l’attention de tous ceux qui la voyaient pour la première fois. Il la gardait partout et presque toujours à la main. Il n’y avait, du reste, nulle affectation dans cette habitude, ses manières étaient trop simples et sérieuses. Cependant on sentait que cela lui tenait au cœur. Il était fort honoré dans la garde. Sans ambition et ne voulant être que ce qu’il était, capitaine de grenadiers, il lisait toujours, ne parlait que le moins possible et par monosyllabes. — Très grand, très pâle, et de visage mélancolique, il avait sur le front, entre les sourcils, une petite cicatrice assez profonde, qui souvent, de bleuâtre qu’elle était, devenait noire, et quelquefois donnait un air farouche à son visage, habituellement froid et paisible.

Les soldats l’avaient en grande amitié ; et surtout, dans la campagne d’Espagne, on avait remarqué la joie avec laquelle ils partaient quand les détachemens étaient commandés par la Canne-de-Jonc. C’était bien véritablement la Canne-de-Jonc qui les commandait, car le capitaine Renaud ne mettait jamais l’épée à la main, même lorsque, à la tête des tirailleurs, il approchait assez de l’ennemi pour courir le hasard de se prendre corps à corps avec lui.

Ce n’était pas seulement un homme expérimenté dans la guerre, il avait encore une connaissance si vraie des plus grandes affaires politiques de l’Europe sous l’empire, que l’on ne savait comment se l’expliquer, et tantôt on l’attribuait à de profondes études, tantôt à de hautes relations fort anciennes, et que sa réserve perpétuelle empêchait de connaître.

Du reste, le caractère dominant des hommes d’aujourd’hui, c’est cette réserve même, et celui-ci ne faisait que porter à l’extrême ce trait général. À présent une apparence de froide politesse couvre à la fois caractère et actions. Aussi je n’estime pas que beaucoup puissent se reconnaître aux portraits effarés que l’on fait de nous. L’affectation est ridicule en France plus que partout ailleurs, et c’est pour cela, sans doute, que loin d’étaler sur ses traits et dans son langage l’excès de force que donnent les passions, chacun s’étudie à renfermer en soi les émotions violentes, les chagrins profonds ou les élans involontaires. Je ne