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raient en longues franges d’argent ; quelquefois elle se creusait dans le roc des gouffres silencieux, où l’eau noire restait immobile et semblait dormir ; ailleurs, elle tournoyait toute couverte d’écume, et mugissait à travers les masses qui s’opposaient à son passage. Bientôt je fus forcé de renoncer à la suivre ; ses rives devinrent inaccessibles, et s’élevèrent comme une haute muraille qu’un lézard n’aurait pu escalader. Je pris sur les flancs de la colline un rapide sentier pour rejoindre mes compagnons, qui marchaient devant moi. À mesure que je montais, la scène s’étendait, et les montagnes grandissaient autour de moi. Les pics décharnés s’élevaient et paraissaient de tous côtés, comme pour servir de cadre à la fraîche vallée. Gousta-Field les dominait tous, avec sa neige éternelle. La route étroite et accidentée serpentait gracieusement à travers les jardins, les pelouses vertes, les champs de lin et d’orge, les maisons peintes, et coupait à chaque instant de rapides ruisseaux, qui passaient perdus dans la verdure avec leur bruit et leur écume. Une petite rivière descendait du sommet même de la montagne, et d’une hauteur de deux mille pieds. Elle formait non une seule chute, mais une centaine de cascades, de quinze à vingt pieds chacune, qui, se brisant sans cesse et sans repos sur leurs degrés de roc, paraissaient de loin comme une seule cascade, immobile au milieu de la verdure. Quiconque a vu les chutes artificielles de Caserte peut se faire une idée de celles-ci, avec la différence d’échelle et de nature, et la distance qui règne entre les ouvrages de Dieu et ceux des hommes. Cette rivière, nommée Varroe-Elv, est un affluent du fleuve que nous apercevions au-dessous de nous comme une ligne éblouissante. Celui-ci se nomme Moan-Elv, c’est-à-dire eau de la lune. Il doit son nom à la cataracte qui lui donne naissance, et vers laquelle nous nous dirigions. Elle semble effectivement tomber du ciel, et cette idée est la première qui ait dû frapper les habitans de la vallée, qui ne connaissaient pas les lacs supérieurs d’où elle sort. Le sentier, qui se glissait en zig-zags sur la pente de la montagne, devint à peine visible. Quelques traces irrégulières montaient et descendaient tour à tour au milieu de la bruyère et des sapins rabougris. J’entendais depuis long-temps un bruit sourd et continu, qui me faisait deviner l’approche, mais non le lieu de la cataracte.