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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

de tristesse et de mélancolie qui s’épanche à si largues bouffées des partitions d’Eurianthe ou de Fidelio. Le lied est une fleur qui ne vient qu’en Allemagne, une fleur chaste et naïve, douce comme le printemps, pâle et triste comme l’automne, un vergissmeinnicht du matin que la jeune fille effeuille entre ses doigts, en disant tout bas comme Marguerite : il m’aime, il ne m’aime pas ; liebt mich, liebt mich nicht.

Ces réflexions me sont venues à l’esprit dernièrement à propos d’un recueil de lieds, publié il y a six mois, je pense, par M. Dessauer. Je ne connaissais pas alors M. Dessauer plus que je ne le connais aujourd’hui, et n’avais entendu de lui qu’une romance assez mal traduite en français, et qui a pour titre le Gouffre aux Pierres. Il y a un an qu’on chantait partout cette romance : toutes les femmes qui chantent faux, et le nombre en est grand de nos jours, l’avaient prise en affection ; vous ne pouviez entrer dans un salon sans tomber dans le Gouffre aux Pierres : soit l’allure lente et monotone de cette mélodie, soit l’exécution pitoyable qui la poursuivait en tout lieu, je m’étais fait une bien triste idée du talent de M. Dessauer. L’autre soir j’étais à la campagne, dans ma chambre ; la fraîcheur commençait à tomber, le firmament à resplendir de tout l’éclat de ses lumières ; les grands tilleuls du parc secouaient dans l’air une odeur douce et tiède ; les bruits du jour avaient cessé, ceux de la nuit s’élevaient déjà de tous côtés ; les oiseaux jaseurs s’étaient enfin endormis ; les petits vers luisans s’allumaient dans l’herbe ; de tous les bassins montait, comme une vapeur sonore, le chant monotone des grenouilles dont la voix plaintive et gémissante augmente encore la mélancolie des belles nuits d’été. Il est des momens où l’ame sent le besoin de se mettre en rapport avec la nature et d’en partager la joie ou la tristesse ; dans ces momens, le musicien s’assied à son clavier, car la musique a, comme la clé de Salomon, le pouvoir d’ouvrir le monde des esprits, et je ne sais pas de plus sûr moyen pour pénétrer au cœur de la nature, que de s’abandonner à l’aile aventureuse des sons. À cette heure, si j’eusse été Mozart, j’aurais improvisé, et je ne doute pas que la musique n’eût bientôt fait ruisseler sur l’ivoire du clavier ces pleurs que la tristesse de la nature avait remués dans leur source ; mais qui peut ici-bas se croire